Auparfum

Sentir et ressentir : voyage (mal) organisé au cœur des odeurs et des arômes, sur France 3

par Arnaud Gobin, le 6 novembre 2019

Madame Doré

Il n’est pas dans mes habitudes de répondre aux critiques de mes films documentaires. Aimer ou ne pas aimer un film est un choix subjectif respectable en toutes circonstances. Tous les avis, même sévères, sont donc bons à prendre et à entendre, sauf quand ils sont bourrés d’inexactitudes et de considérations un peu ridicules comme celles qui émaillent votre article. Preuve s’il en est que la critique de parfums ne conduit pas automatiquement à la compétence en matière de critique média.

Quelques précisions s’imposent :

Dès les premières lignes, vous notez que la voix off du commentaire s’exprime tantôt à la première personne du singulier et tantôt à la première personne du pluriel. N’allez surtout pas croire que j’ai oublié les règles élémentaires de grammaire et de syntaxe apprises à l’école primaire. Il vous aura simplement échappé que la voix off dit « Je » quand elle parle d’elle-même en tant que parfum et « nous » quand elle évoque ses « cousins » (parfums fonctionnels et arômes) Ceci explique cela. Un film s’écoute avec ses deux oreilles. Sur ce point vous vous êtes peut-être bouché une narine.

Libre à vous de voir dans ce film un machin « sans aucune intention ni idée de réalisation, de scénario, de fil rouge ou d’angle ». Le microcosme de vos lecteurs qui paie la redevance audiovisuelle va surement s’étonner que France Télévisions ait accordé sa confiance sur plus d’une trentaine de films documentaires a un aussi médiocre réalisateur. Quel gâchis d’argent public ! Un tel film a nécessité plus de huit mois de travail. Pensez-vous sincèrement que les responsables de la chaine, le producteur, le coauteur, le monteur et moi-même, tous plus incompétents les uns que les autres, avons passés tout ce temps à ne bricoler nonchalamment qu’un vague bout à bout sans aucune intention ni structure narrative ? Sur ce point vous vous êtes peut-être bouché l’autre narine.

Les intervenants (tous de qualité j’en conviens) ont été unanimes à dire que ce film abordait pour la première fois la complexité de leur art sous l’angle original de la sensibilité, de l’émotion et de la thérapie et non pas autour du sempiternel mono produit (Eau de Cologne, 5 de Chanel, grands parfumeurs …) ou de concepts mainte fois ressassés (économie du luxe, glamour…) régulièrement diffusés sur les petits écrans. Préférer ce type de films est votre droit le plus strict. Ecorner ceux qui ont une approche différente et plus large de cet univers complexe (au risque de le survoler) n’en est pas pour autant une nécessité. Pour ma part, je me consolerais des avis de ces intervenants de qualité qui ont particulièrement apprécié ce film et qui ont tous été très fiers (et reconnaissants) d’avoir participé à cette longue et passionnante aventure télévisuelle.

Dernier point : quand vous laissez penser que ce film n’est qu’une vague commande de circonstance, vous flirtez sans retenue avec le grotesque (qui ne tue pas plus que le ridicule, rassurez-vous). Ce film a été écrit en novembre 2017, mis en production au début du printemps et tourné l’été suivant. Le classement du savoir-faire grassois au patrimoine culturel immatériel de l’Humanité ne nous a été confirmé que l’automne suivant, soit un an après l’écriture du projet et plusieurs mois après son tournage. Point de commande de circonstance donc et votre phrase fantasmée « Eh les gars, vous pourriez faire rapidos un docu sur les odeurs s’il vous plait ? » est donc en tout point risible. Autant que d’imaginer un responsable d’une grande maison de parfums, chopper deux jeunes nez stagiaires devant la machine à café et leur lancer à la cantonade « Eh les gars, au lieu de glander devant votre cappuccino, vous pourriez pas me pondre vite fait une eau de toilette qui évoque la déforestation en Amazonie ou la réforme des retraites S’il vous plait, c’est d’actu ! ». Ce paragraphe empreint d’humour (involontaire ?) qui dénote votre méconnaissance totale et candide du fonctionnement de la production TV aura au moins réussi à me faire sourire et je vous en sais gré. Mais nous savons depuis longtemps que ceux et celles qui parlent le plus (souvent en mal) de la télé sont ceux et celles qui la regardent le moins. Quel dommage pour vos lecteurs et lectrices que vos appréciations à l’emporte-pièce et quelques grosses bêtises gâchent la qualité d’un article dans lequel vous faites pourtant un résumé conforme et honnête du propos de ce film.

Sachez, pour conclure, que ce documentaire n’était en rien destiné à l’élite de la parfumerie ou au gotha des blogueurs avisés, mais au public de France 3 dont je connais et respecte parfaitement la nature et les aspirations depuis trois décennies. Il faut croire que mon « mauvais » film a touché sa cible, car ce documentaire a battu un record « historique » d’audience sur cette case et qu’il a été vu lors de sa première diffusion pourtant tardive par plus de 175 000 téléspectateurs, qui ne se sont pas « endormis avant la fin », rassurez-vous.

Bien cordialement
Arnaud Gobin
Auteur réalisateur du documentaire « Sentir et Ressentir »

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