Chanel N°19
par Farnesiano, le 1er septembre 2013
Bonjour, Jicky.
Oui, parfois, on se dit qu’à telle époque, la parfumerie ne nous proposait que des merveilles, en nombre limité certes, mais à l’aspect commercial moins typé et surtout moins agressif. Mais qu’un homme ose alors porter L’Heure bleue, Vol de Nuit, Nahéma, Parure, Passion, l’Heure exquise ou Grand Amour, c’était quasiment inconcevable. Aujourd’hui, les parfums appartiennent à tout le monde, la mode aussi et l’on se compose un style vestimentaire et olfactif, odorant, odoriférent - je ne trouve pas le mot juste, tout simplement parfumé ? - indépendamment de tout critère. La profusion de lancements à travers le monde nous permet d’apprécier, et de se les approprier facilement, mille et une merveilles telles que ISM, Bas de soie et la fabuleuse Eau de Narcisse bleu (à mes yeux le meilleur Ellena depuis longtemps et qui me paraît être la somme de Santal Massoia, Iris Ukiyoé, Paprika Br. et Bois d’iris). Tant de belles créations sont éditées en même temps et à travers le monde qu’on ne peut plus suivre. Inconditionnel de la parfumerie française depuis toujours, je découvre depuis quelques années des maisons italiennes, anglaises, allemandes et américaines. Me rendant régulièrement sur Basenotes, je suis effaré par le nombre de créations US qu’on ne connait pas ou peu chez nous. Tant de bijoux à découvrir de nos jours...
Quant au 19, mon premier choc Chanel avant même que je ne sache qu’il s’agisse d’un Chanel, avant même ma découverte de l’incomparable Cristalle que ma mère a porté quelque temps, il figure à coup sûr dans mon top 20, peut-être même avant le 22 (que j’ose préférer au N°5, parfum superbe que je ne comprends pas et qui ne m’émeut pas. D’aucuns vont crier au scandale. A quoi je m’expose ici !?!) Le 19 m’apparaît presque comme un masculin, au même titre que Cabochard et Aromatics Elixir, ces deux créations géniales de Bernard Chant dont je garde précieusement les flacons ainsi que ceux de leurs exacts pendants masculins Aramis, finement cuiré, et Aramis 900, tous deux de B. Chant. Et on revient aux parfums anciens... ;-)
Pour revenir aux "iris verts", rapprocher Bas de Soie et l’Heure Exquise du 19 en EDP bien entendu, semble aller de soi(e) pourtant leurs différentes sautent au nez dès les premières minutes. Si Bas de soie se concentre (et on revient aux couleurs) sur une alliance dense et une oscillation permanente mais assez linéaire entre le bleu-mauve de l’iris et le vert cru et profond, presque humide de la jacinthe des bois, cueillie par un jour printanier, frais, nuageux à beau, avec ondée possible, l’Heure exquise, elle, se révèle plus riche et plus lumineuse en ses développements facètés, éminemment poétiques, j’allais presque dire proustiens (on songe au cabinet sentant l’iris où se réfugiait le petit Marcel pour...) C’est juste avant le crépuscule d’un beau soir d’été, cette heure troublante où les rayons dorés transforment le jardin, la Nature entière, en un palais scintillant et parfumé où il fait bon se perdre, et rêver à d’autres amours encore... C’est l’éveil après une sieste trop prolongée et la sensation étrange que tant d’heures ont passé depuis l’endormissement de l’après-midi. Il y a pour moi dans l’Heure exquise, toutes les saveurs foisonnantes et enchanteresses de ce bel après-midi ensoleillé mais passé à l’ombre dans un confortable fauteuil (je n’aime pas les hamacs) et la promesse d’une belle soirée qui se prolongera tard sur les terrasses du château.
Et l’on songe au poème de Verlaine, L’heure exquise, qui s’achève par ces vers :
" ... Rêvons, c’est l’heure.
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l’astre irise ...
C’est l’heure exquise. "
Et je vais à nouveau citer ici, cher Jicky, la ligne dorée qui m’est si chère en parfumerie et que j’avais évoquée dans un billet précédent, ce fil d’or, cette qualité de lumière unique que les parfums d’AG partagent parfois avec les grands Guerlain.
Et que vive et demeure l’Heure exquise ! Farnesiano
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