Auparfum

Avec Métal Hurlant, Pierre Guillaume fait chauffer l’asphalte

17 juin 2017, 11:11, par Equipage

Quelle audace ! Même la climatisation est dans le flacon… Dans ce loft tempéré, la moto, encore chaude, est garée à proximité du salon en vieux cuir basane fauve. J’ai jeté mon perfecto sur le sofa, desserré ma cravate, ouvert mon col et me cale dans mon fauteuil club préféré entre un coussin de daim, un autre en velours de soie d’où se dégage un léger hespéridé fugace. La tête renversée, je vois la verrière au plafond, traversée par la lumière chaude du soleil. L’odeur de la récente peinture rouge nacrée métallisée de ma moto rejoint celles du chrome, d’essence et de gomme chaude. Une insolente fantaisie qui interpelle mon côté transgressif. Puis, discrètement d’abord, la douceur du daim et la souplesse de mon perfecto noir apportent un peu de rondeur qui devient peu à peu plus présente. Je me délecte de ce bouquet jusqu’au moment où je me redresse pour me servir un verre, le moment que choisit la peau pleine fleur du fauteuil pour se révéler : une matière confortable, épaisse et souple en même temps, lustrée par les années et les soins prodigués ; un cuir foncé, gras, l’odeur de son vécu finement fleurie par de délicats onguents attendrissants ses cicatrices. Un cuir masculin, rassurant, protecteur, constant.

La table basse est faite d’un ancien chariot d’usine : un épais plateau de bois brut sur un piètement d’acier rouillé et de grosses roues caoutchoutées bien graissées. A côté de la cave à cigares en ébène, la carafe en cristal est teintée d’ambre : je me sers un verre de vieux bourbon et m’enfonce à nouveau dans mon fauteuil.

Les yeux fermés, les sens en alerte, je savoure cette atmosphère curieusement polluée où le cuir impose son omniprésence empreinte d’une animalité sensuelle, peut-être même érotique ; mais pas sexuelle. Le cuir mutin, presque sauvage, des sacoches et du couvre-réservoir, mêlé de chimie, est apprivoisé par les notes plus propre de mon perfecto et des coussins, qui avec le cosy-douillet du salon cuir apporte à l’ensemble un confort enveloppant. En sourdine, une harmonieuse mélodie : des notes boisées, des notes d’alcool, de havanes (de fumée ?). Est-ce le velours du coussin qui libère cette note florale, ce silence subtilement poudré ? J’hésite à ouvrir les yeux, à porter mon verre à mes lèvres tant je crains de briser l’excellente sophistication de cet équilibre raffiné - sans être précieux – pourtant étrangement entre garage et club anglais. Sans l’air conditionné, l’atmosphère serait irrespirable. Fallait-il de l’audace pour oser cela…
Original, pas excentrique. Aucune bizarrerie, à aucun moment. La magie de cette association est prodigieuse. Quelle virtuosité pour mener sans grossièreté l’évolution de cette eau de parfum – cet univers improbable d’odeurs chimiques et de propositions délicates - depuis la fraîcheur de la toilette matinale jusqu’à la maturité de ce cuir presque rustique sans tomber dans le pathos ou le hors d’âge. Echapper au vintage et faire d’un vieux cuir presque sauvage une matière moderne, douce et confortable. Un cuir voluptueux et sage en même temps.

Métal Hurlant est un concentré d’émotions, comme doit l’être une eau de parfum. Lui crée la surprise et surfe sur nos contradictions. Pierre Guillaume veut qu’un parfum s’adapte à celui qui le porte : « c’est le parfum qui doit montrer que c’est lui qui est amoureux de vous. » dit-il. PG maîtrise là l’ésotérisme singulier de la suggestion sensorielle, de l’alchimie délicieusement irrationnelle de la parfumerie.

Après m’avoir agréablement impressionné par son côté biker auquel je ne peux toutefois m’identifier (ce n’est pas non-plus au parfum de nous apprivoiser), Métal Hurlant m’a soufflé les nuances de ses vibrations, depuis l’évidente cuirasse dont il se pare sans exubérance jusqu’au confort intimiste qui l’habite, quand l’apparence manufacturée qu’il dégage laisse place à la générosité spontanée qui l’anime. Quand sa raison a dit non, que sa pudeur a dit oui, il m’a gratifié d’une incroyable déclaration. Métal Hurlant est « un cuir aérodynamique excité par un musc sensuel et animalisé » qui m’a irradié d’un sage frisson à fleur de peau. En quelques minutes j’étais séduit ; en 24 heures j’étais conquis ; après 8 jours, nous avons fusionné. Je suis addict !

A mon avis, incompatible avec qui veut l’apprivoiser, il sera par contre une seconde peau pour des charismatiques ou aventuriers ou audacieux de tous âges. Par la palette de ses facettes, Métal Hurlant est un séducteur original, portable pour qui aime le cuir, par qui lui porte attention. Alors doux et confortable, sa présence est enveloppante, constante, soutenue sans ostentation avec un sillage modéré mais remarquable. Parfumé à quelques cm de la peau, juste avant de fermer la chemise : un pschitt entre les pectoraux, un demi pschitt sur l’intérieur d’1 poignet que je frotte contre l’autre, un demi derrière chaque oreille, je finis de m’habiller. Combiné à la peau et imprégné dans le tissus, sa tenue est pour moi du jamais vue : pour un week-end « paresseux-parasé-padouché » je me suis quand même parfumé avant d’enfiler mon plus vieux tee-shirt préféré (in-montrable !) : ce bon vieux cuir - très à l’aise aussi dans ce contexte – m’a ravi jusqu’au lendemain en fin d’après-midi.

Vous excuserez j’espère mon amateurisme qui ne me permet pas de faire référence aux termes techniques, pas même aux composants ou autres identifiants, comme la plupart ici le font si bien. Souhaitant partager cette découverte étonnante, j’ai dû vous livrer mon introspection impudique alors que je n’intellectualise pas habituellement mon rapport aux parfums.

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