Auparfum

Scandal

Passacaille

par Passacaille, le 4 mars 2017

Ce parfum a donné lieu très récemment à des rebondissements, plus précisément son attribution. Cela pose la question plus généralement, qui est le créateur d’un parfum ? C’est une question à laquelle il n’est pas si simple de répondre parfois, mais pourquoi ?

Depuis que je connais Auparfum, et après avoir assisté plusieurs fois aux séances de découverte des parfums vintage par Newyorker, Scandal me fascine. Comme Cuir de Russie de Chanel, c’est un parfum qui sublime le goudron de bouleau, par une opération alchimique et magique des chimistes-parfumeurs qui les ont créé, une matière carbonisée, goudronneuse est portée au rang d’odeur d’un suprême raffinement aristocratique. Et puis Scandal a disparu, ça ajoute encore au mythe reconnaissons le ! Et j’ai donc parcouru les sites pour trouver ce précieux Saint-Graal olfactif. Une miniature toute mignonne au départ, oh joie, 3 mL de Scandal pour 20 euros, clic, clic, clic il est à moi ! Fébrilement j’ouvre le colis, et tout tremblant la mouillette s’imprègne du liquide qui monte par capillarité, un peu anxieux je porte le papier à mes narines, et si le jus était foutu, et si en vrai ça me plais pas du tout ce Scandal ??? Je hume, une fois, une seconde fois.... mon dieu, c’est si beau, si chaud, si rond, si... si... si...
Scandal est une légende qui n’est pas usurpée et qui fait vibrer mes fibres les plus enfouies.
Donc par la suite c’est l’exploration systématique de tous les sites pour trouver un vrai flacon de ce monument de parfumerie balayée par les ans.

Et un jour en cherchant autre chose, je trouve une annonce d’une vendeuse italienne pour un flacon d’Eau Scandal, à un prix modique !!! Soit c’est une faussaire, soit cette dame ne connait pas la valeur de ce qu’elle vend ! Intact, en état impeccables sur les photos, je clique et fait donc l’acquisition du flacon, mi hystérique / mi incrédule. Quelques jours plus tard le colis arrive, la fébrilité du collectionneur une nouvelle fois à son comble, véritablement au bord de la syncope !! La bouteille est magnifique, énorme même, la photo ne donnait pas l’idée de la véritable échelle... et le parfum lui-même est un vrai nectar pour les narines. Je suis aux anges et fond en remerciements très émus auprès de la vendeuse. Elle est très touchée et m’explique que c’était le parfum de la tante, morte deux ans plus tôt et qu’après avoir réglé l’héritage, elle vendait certains de ses effets personnels. Cette dame était pianiste à Milan, professeure de piano très aimée et elle m’envoie même une photo de sa tante en sa jeune célébrité ! Je suis confondu d’émotion. Elle ajoute qu’elle vend aussi le flacon d’extrait de ce même Scandal mais que sa tante n’avait pas ouvert et qu’elle veut bien me vendre !!! Vous imaginez bien la suite... comment supporter que les parfums de cette dame soient séparés ?
Pour les très grandes occasions, avec un infini respect, je mets quelques gouttes de cet extrait et deux pschitt de l’Eau, la dernière fois fut pour la cérémonie de l’Olfactorama.

Comblé au delà de que qui est imaginable, je collectionne depuis les autres formats, petits, tout petits, en long... j’ai maintenant une petite famille de flacons de Scandal bien à l’abri dans le coin de plus douillet du frigo.
Il y a quelques jours, à l’occasion d’un rangement de ce dit frigo, je décide de faire des photos de la petite famille et les Scandal posent tous ensemble devant l’objectif et je diffuse le tout fièrement sur instagram, twitter, facebook...
Comme j’aime bien dire plus que le nom du parfum dans la légende des photos, je vérifie ici le nom du créateur et l’année de sortie : André Fraysse en 1933.
Les likes et les cœurs défilent au compteur, mais très vite un instagrameur s’interroge sur l’attribution de Scandal à André Fraysse, "c’est pas Vacher ?" Euh.... bah.... je sais pas moi ! On me dit Fraysse, c’est Fraysse donc ! Je revérifie ici, oui, oui Newyorker parle bien de Fraysse, Fragrantica et Basenote aussi !! (ah tient pour certains c’est 1931 et pas 1933, étrange !)

Entre-temps un second instagrameur lui ne s’interroge pas et affirme que "Scandal c’est Paul Vacher en 1933" ! Ahhhhhhh, mais comment je fais moi ? Le monsieur fait partie d’une maison de parfum et connait bien l’histoire de ce Paul Vacher et en cherchant sur internet il parle sur plusieurs sites et dans des interviews des création de ce Paul Vacher, en indiquant bien qu’entre autre il avait fait Scandal pour Lanvin en 1933 !!
Newyorker est consulté, pour lui c’est bien Fraysse, car l’Osmothèque lui attribue bien Scandal !
Un site qui parle de l’histoire de la maison Lanvin donne quelques précisions sur la branche parfums. On y trouve que les premiers parfums ont été créés par une mystérieuse "Madame Zed" puis que Paul Vacher avait été embauché pour les suivants, un certain André Fraysse devenant son assistant en 1931. Puis qu’en 1935 Paul Vacher quitte Lanvin pour créer les parfums de la maison Le Galion. Donc Rumeur, Prétexte et Scandal ont probablement été créés par les deux chimistes-parfumeurs !

Au fur et à mesure des échanges je modifie les légendes des photos à un rythme effréné, Jeanne réalise que l’attribution sur Auparfum est peut-être fautive et change les noms à vue. Donc vous trouvez pour l’instant la double attribution, mais grâce aux deux instagrameurs on va approfondir ces recherches pour connaitre plus sur les coulisses de la genèse de mon Scandal adoré.... affaire à suivre donc !

Alors au final comment sait-on qui fait un parfum ? La tâche est complexe !
Le problème vient de ce qu’un parfum n’est pas considéré comme une œuvre d’art (une œuvre de l’esprit en droit) et donc qu’elle n’a pas officiellement de créateur selon les lois sur la propriété intellectuelle !

On a donc encore de nos jours des sites comme Dior qui indique pour Diorissimo "Un grand classique créé par Christian Dior en 1956 avec la complicité du grand parfumeur Edmond Roudnitska, qui évoque le muguet fraîchement cueilli au printemps." Alors que tout le monde sait qu’Edmond seul a façonné ce chef-d’œuvre, d’ailleurs comme un défi personnel pour inaugurer une nouvelle manière de composer en parfumerie.

De plus pour les lancements importants, afin de limiter les risques financiers et pour être certain de faire un jus consensuel, les marques ne confient plus les briefs à un seul parfumereur-euse mais à des équipes. Deux, trois, quatre... parfumeurs de la même société de composition (vous savez Firmenich, Givaudan, IFF, Mane, Symrise, Takasago...) pour faire un seul jus ! pas étonnant que le résultat n’ai plus d’angle, ni de personnalité !!

Et puis même si un seul parfumeur-euse est aux mouillettes, il travaille rarement seul, il travaille souvent avec un-e assistant-e , jeune parfumeur qui apprend le métier auprès du "maitre" (attention à ne pas confondre avec leur "préparateur-trice" qui est la personne qui réalise les pesées des matières premières en suivant sa formule. Mais parfois l’assistant est aussi le préparateur) Et donc dans quelle mesure l’assistant a sa part dans la création ?
Surtout que dans ce métier très hiérarchisé, il faut faire ses preuves, gagner des jalons, pour monter dans la pyramide (junior, assistant... jusqu’à master perfumer !! l’empyrée) et pour cela il faut avoir eu l’occasion de montrer ses talents dans le milieu en ayant composé un parfum à succès. Comment faire ? sous la tutelle du maitre, le disciple compose un jus pour répondre à un brief, c’est lui qui est à la manœuvre et le maitre ne fait que conseiller, orienter... si le brief est remporté, que la marque à l’initiative du parfum accepte la proposition, le parfum sort sur le marché. Dans ce cas, le milieu des parfumeurs félicite le disciple, les journalistes spécialisés font une interview du maitre et le grand public lui pense que c’est le styliste de la marque qui a composé le parfum entre un défilé à Rome et une soirée VIP à New-York !

La niche elle est différente car plus souvent centrée sur une personnalité.
Serge Lutens dit bien qu’il ne compose pas ses parfums, il est directeur artistique, il a les idées, les parfumeurs auxquels il fait appel sont là pour matérialiser ses idées. Et cela est payant car il pousse les parfumeurs sur des terrains qu’ils n’auraient peut être pas exploré autrement (voyez Féminité du Bois, Iris Silver Mist, Serge Noire...)
Frédéric Malle lui a reproduit le concept d’édition littéraire à la parfumerie, il met donc en avant des auteurs de parfums, et logiquement, mais c’était une révolution dans le métier, il a apposé le nom du créateur sur le flacon, en dessous du nom du parfum, comme pour un livre. L’Artisan Parfumeur vient d’ailleurs de faire la même chose avec les parfums de Daphé Bugey pour sa gamme Natura Fabularis.

On trouve aussi des marques de niche dont le gérant est aussi le créateur, oui Vero Kern, je pense à toi !!

Donc sans cadre juridique, rien n’est simple, avec en plus les interférences entre l’ego, le marketing. Les envies de certains parfumeurs d’être reconnus plus largement auprès du public, mais aussi dans l’autre sens, de rester anonyme quand ils font des jus commerciaux "alimentaires" et dont ils ne sont pas particulièrement fiers, on les comprend, ces parfums parlent si peu de leur créativité et exprime si mal les motivations qu’ils ont eu pour faire ce métier.

Alors imaginez quand la marque a disparu, que les archives sont dispersées, les parfumeurs quasi oubliés !! C’est pour cela que je veux sauver le maximum de ce que l’on peut connaitre sur cette mémoire qui s’évapore, la vie des hommes et femmes qui ont façonné les parfums qui nous émeuvent !
Auparfum a aussi cette mission patrimoniale, conserver les éléments qui sont au centre de la création olfactive, les parfums passent, changent, nos avis sur eux aussi, mais il faut garder la mémoire de tout cela et grâce à Jeanne, Dominique, les rédacteurs, les membres, les visiteurs cela se fait ici, de manière vivante, réactive, électrique, douloureuse parfois.

(PS oui j’ai eu mal, pour Jeanne, en lisant les commentaires récents, je n’ai pu intervenir sous l’effet de la sidération que provoquait ces lectures qui attaquaient injustement le fondement de ce qu’est Auparfum ! Le but est de construire, de partager, débattre, et l’on est démunis quand un hussard entre dans l’auberge espagnole, n’apporte que des apéros rances, critique le repas, crache dans le potage et part en claquant la porte dans l’outrance d’un mouvement de cape théâtral ! Bon vent !! Nous on va continuer à sortir nos mouillettes, s’entre-snifer nos poignets, saliver avec un vrai beau gourmand, grimacer avec les bois-qui-piquent machos, trépigner en attendant Superstitious... et puis, car on le fait trop rarement, faire un énorme bisou à Jeanne qui orchestre tout ça, inlassablement, diffusant l’énergie à l’équipe tout autour !!)

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