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Mon nom est rouge

Majda Bekkali

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Le ballet de la rose

par Clara Muller, le 22 mars 2021

« Et il humait dans son souvenir, en ouvrant les narines, le pétillement à odeur de roses d’un vieux champagne de mil huit cent quatre-vingt-neuf que Léa gardait pour lui seul... »
Colette, Chéri (1920).

« Mon nom est rouge ». Ainsi parle la rose qui tient le rôle principal dans ce parfum. Sa voix est grave, profonde, sa présence assurée, imposante. Sa robe d’écarlate accapare le regard. Elle n’est pourtant pas seule en scène pour ce ballet olfactif. Lorsque nos yeux s’habituent à son éclat sanguin, d’autres danseurs et figurants se devinent dans son ombre. Ils gravitent autour d’elle pour faire varier ses nuances, ennoblir ses mouvements et la porter aux nues.

La baie rose et l’élémi d’abord, bientôt rejoints par le gingembre et la cardamome, joignent leurs mains fraîches et épicées pour élever la rose. Ce porté léger offre à la fleur majestueuse une éclosion fusante, toute en clarté. Elle est l’étoile en pleine lumière. Dans l’élan gracieux de ce mouvement ascendant, sa robe rouge semble s’alléger, s’éclaircir, se piqueter d’escarbilles poivrées et piquantes.

En réalité, l’effet de cet accord chorégraphique, montant et fraîchement épicé, est éminemment tactile. On imagine un champagne rosé dont les fines bulles se précipitent à la surface pour éclater joyeusement au contact de l’air et de la langue. Ce champagne avec lequel on trinquera à l’issue du spectacle, ou peut-être celui dont se souvient Chéri dans le roman de Colette - qui elle-même n’était pas étrangère à la scène : « Et il humait dans son souvenir, en ouvrant les narines, le pétillement à odeur de roses d’un vieux champagne de mil huit cent quatre-vingt-neuf que Léa gardait pour lui seul... »

Puis, lorsque ce pétillement se tarit, la rose redescend lentement sur terre, et sa robe veloutée, couleur de framboise écrasée, se pare de légers reflets métalliques. Les épices et les résines se multiplient autour d’elle en une ronde exotique qui souffle le chaud et le froid. Au poivre rose, au gingembre et à la cardamome, se sont joints la cannelle et le cumin. À l’élémi, l’encens et le labdanum, dont les volutes claires et chaleureuses drapent le spectacle et tamisent un peu la lumière.

Au centre de cette ronde ardente, la rose exécute une danse serpentine en duo avec celui qui, par l’odeur de ses feuilles, lui ressemble un peu : le géranium. Celui-ci, en tourbillonnant avec elle, met un peu de vert dans son rouge, de subtiles nuances aromatiques qui s’enroulent comme des voiles dans les arômes incarnats de la fleur, alliant le masculin au féminin. Le tableau est harmonieux et puissant, vif comme un feu d’artifice, mais non dénué d’une certaine sensualité.

Du fond de la scène enfin, s’avancent en ligne des personnages moins hauts en couleurs, des notes boisées qui attendaient leur heure. Sur un rythme lent, bois de rose, cèdre et santal pénètrent le cercle et viennent s’agenouiller, serrés aux pieds de la rose essoufflée qui se balance encore lentement en son cœur. Les épices tout autour ont épuisé leurs forces. Ils s’allongent humblement pour laisser aux bois le soin d’accompagner la rose dans son tableau final.

Du bout des pétales, elle répand ses douceurs presque vanillées sur son piédestal de notes sèches, boisées et résineuses, qui lui donnent encore l’énergie de durer dans sa superbe et de se tenir là, la tête haute face à son public. La scène se prolonge longtemps avant le rideau de fin, se teintant peu à peu d’une lueur ambrée qui semble faire palpiter comme des braises la robe de celle dont le nom est rouge.

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