Auparfum

East India

19 décembre 2015, 19:26, par Farnesiano

Chapitre 1. La découverte

Au retour du bureau hier soir, j’avais rendez-vous au café du coin
avec mon adorable colocataire. Une petite enveloppe pour toi, me
dit-il. Il me la tend et aussitôt, sous les bulles de plastique, je
devine l’échantillon. En moi, je ne peux réprimer l’excitation à
l’idée de découvrir un nouveau parfum personnellement adressé.
Mon ami et moi savourions une
bière trappiste quand je me décidai enfin à tester East India en
vaporisant le dos de ma main droite. Sur la gauche, rayonnait encore
un peu du Parfum de Thérèse que j’y avais déposé quelques heures plus
tôt. Le choc fut immédiat : en un instant, j’étais projeté devant un
brasier, un brasier terrible dont la puissance n’avait d’égale que
l’intensité. Quoi donc brûlait ?

Chapitre 2. Divagations

J’y ai cherché l’Inde. En vain. L’Inde est trop vaste. A elle seule,
elle semble un continent et, du Népal à l’océan, on côtoie la Chine, le
Bhoutan, le Bangladesh... J’y ai cherché l’agitation des rues
populaires et populeuses de Calcutta. J’y ai cherché mille couleurs,
mille palais, mille temples, et autant de divinités, aux statues
chatouillées par ces petits singes familiers qui s’ébattent dans les parcs et les
jardins. L’Inde ? Nulle vraie foire aux épices, nul orientalisme brillant et coloré. Je n’y trouvai qu’un feu, un feu qui fut, un incendie éteint, et les restes
épars de bois, meubles, poutres, plancher, pneus cramés ; et cette
armoire à cigarettes devenue cendrier ; et jonchant le sol, quelques
bouteilles de vieux whisky tourbé soufflées par l’explosion qui
précéda l’incendie.

Non, je n’étais pas en Inde mais à East India, ce quartier du port de
Londres, dans ce coin reculé des Docklands où je me suis aventuré
Dieu sait comment, au terme d’une soirée trop arrosée et plus
qu’enfumée. J’ai suivi là des amis de fortune jusque dans ce petit bar
dont l’arrière-salle jouxte l’entrepôt qui a brûlé la semaine
dernière. Le propriétaire à la silhouette qui hésite entre le marin
tatoué et l’ancien rockeur, a tenté vainement d’effacer l’odeur de feu
en brûlant quelques bâtons d’encens. Il s’est joint à nous, séducteur fatigué à qui on ne la refait pas. Et nous avons bu avec lui, et fumé encore, et divagué toute la nuit.

Le lendemain, à l’aube, l’esprit consumé, et oublieux de ma vieille veste de cuir gras et craquelé, je rentrais chez moi, égaré dans le fog et les vapeurs
d’alcool aux relents de cendres refroidies, évoluant cahin-caha,
hagard, épuisé et presque écoeuré de moi-même.

Chapitre 3. Le parfum

Mais, toute honte bue, revenons au parfum.
Une fois passé la claque aux épices, plutôt froides, cardamome et poivre noir caracolant au-delà d’une pointe d’agrumes, on est plongé dans les cendres encore fumantes d’un feu de bois mal éteint, et dans l’encens, le tabac, le cuir. La langue
picote et le palais brûle ; un mal de tête semble s’annoncer en même
temps que point la certitude d’une addiction. Même suffocants, nous
revenons à la peau, victime consentante du parfum. Sans cesse, il se
rappelle à nous, sombre, épais, un peu gras. Puis, au bout de quelques heures, apparaît une fine note de vanille qui voudrait alléger la composition ou du moins l’arrondir. Mais non, le mal est fait : un incendie a eu lieu que nous n’oublierons pas, malgré ou à cause de cet encens trop fort, presque déplacé.

Bien loin des arabesques indiennes, sensuelles et mystiques des Neela
Vermeire, bien loin aussi des voyages merveilleux que nous inspirent Caravelle
épicée et 1697 de Frapin, entre l’Eau du Fier d’Annick Goutal,
l’élégance en moins, et le Bois d’Ascèse de Naomi Goodsir, un bois qui
aurait brûlé non pas en forêt mais en plein coeur de la ville, entre
la noblesse ancestrale du Sahara Noir de Tom ford et la sauvagerie
païenne mais altière, et pleinement assumée, des créations d’ Orto Parisi, il y a place pour ce brutal East India. Je ne le porterai que chez moi, le soir, dans mon intimité. Même si le genre n’est pas ici fondamentalement renouvelé, tout amateur se doit de découvrir cet étrange bois brûlé à la noblesse populaire et sans vulgarité.

Épilogue.

Je ne sais comment ni pourquoi durant toute mon évaluation de ce parfum, les vers d’Apollinaire qui ouvrent La Chanson du Mal-aimé ne me quittèrent pas :

" Un soir de demi-brume à Londres
Un voyou qui ressemblait à
Mon amour vint à ma rencontre
Et le regard qu’il me jeta
Me fit baisser les yeux de honte

Je suivis ce mauvais garçon
Qui sifflotait mains dans les poches
Nous semblions entre les maisons
Onde ouverte de la Mer Rouge
Lui les Hébreux moi Pharaon... "

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