Auparfum

East India

George Kaplan

par George Kaplan, le 31 décembre 2015

POUM ! Un coup d’arquebuse dans le nez. Mon mouchoir blanc imprégné d’un tir d’East India à peine porté à mes narines, mon corps a reculé brusquement. « Saperlipopette, ça dépote ! » J’ai failli tomber de ma chaise.

Une première impression brutale, ordoncques. De la poudre à canon, de la fumée cinabre, des étincelles noires, de la poix de charpentier goudronneuse, des jets de fer concassé. La Compagnie britannique des Indes orientales ne transportait apparemment pas que des épices. Le commerce, à cette époque, c’est aussi la guerre. Mais c’est une image plus française qui m’est venue à l’esprit en replongeant le nez dans mon mouchoir : les corsaires de la Royale maniant le mousquet… ou plutôt les pirates armés d’un perroquet, de bottes grossièrement cirées, d’un sabre ébréché et d’une bouteille de rhum – en réalité le jus contient du whisky, mais passons. East India, c’est le parfum de Rackham le Rouge !

Ne rien conclure sur une première impression. J’ai passé la soirée dans mon mouchoir, à tenter de poser des mots sur cette sensation surprenante mais en rien désagréable. En vain. J’ai rangé le mouchoir. Quarante-huit heures plus tard, je l’ai ressorti. De cette chrysalide de charbon était sorti un étrange conte de Noël, avec de l’écorce d’orange, des volutes de thé noir, du pain d’épices et du vin chaud. De la froideur minérale de la poudre émanait une chaleur envoûtante, aussi attirante que celle d’un feu de cheminée vers minuit, quand tout le monde est parti se coucher et que l’on reste seul pour guetter le ronronnement des braises. La résine des épices avait pris le dessus sur la fureur de la bataille. De la violence était née la séduction.

L’originalité ne suffit pas quand il n’y a ni récit, ni plaisir. Tout me semble être là, avec cohérence. La fleur baudelairienne est maîtrisée, il suffit d’oser la cueillir. Et au bon moment. Comment la porter ? Peut-être en pensant à Daniel Craig quand, à la fin de Skyfall, James Bond emmène M dans le manoir de son enfance, perdu dans la lande tourbeuse d’une Écosse hors du temps mais pas de l’histoire. Il y perd toutes ses attaches avec son ancien monde (et notamment M – comme maman ?). Dans la vieille chapelle qui lui sert de dernier abri, seul face au mystère de l’humanité tiraillée entre la vie et la mort, il ne fourbit plus que l’essentiel : la foi en son fragile destin.

Si Dieu ne meurt jamais, la vie n’est pas un effluve tranquille et, en attendant la mort qui rira la dernière mais bien, il n’est pas interdit d’être élégamment « armé pour séduire », si l’on se fie à la devise d’un prestigieux arquebusier parisien.

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