Auparfum

Nuit de Bakélite

10 mai 2018, 10:39, par Belle du seigneur

Bonjour Galate,

Je trouve que c’est un peu rapide de dire que "la parfumerie n’a rien à voir avec l’art". C’est une question qu’on peut se poser, bien sûr, et avec intérêt ; mais il faut garder à l’esprit que la définition de l’art fait - et a toujours fait- l’objet de nombreux débats, à la fois entre les philosophes, les historiens, et les critiques (et les spectateurs).

- Concernant la production d’une œuvre : vous différenciez le parfum de la peinture parce qu’il est reproductible. Mais vous notez vous-même ensuite que l’on peut le rapprocher du livre. Et en effet ! mais que signifie votre "à la limite" ? La littérature, la poésie ne sont-ils que des arts amoindris ? Certes, la question de la reproductibilité peut poser problème (elle fait perdre à l’œuvre son "aura", selon Walter Benjamin). Mais si l’on admet que la littérature est un art, ne faudrait-il tout de même pas intégrer la possibilité d’une reproductibilité dans sa définition ?

- Concernant la diffusion : une toile n’est pas destinée à être diffusée... Et pourtant on ne voudrait pas d’un Picasso dans son salon. Il y a tout de même une certaine diffusion de la toile, puisqu’elle est au musée pour permettre cela. Certes, ce n’est pas de l’ordre de la possession, et on peut se demander ce que la possession effective d’un objet change à son statut d’œuvre d’art ; mais on peut ici comparer au cinéma par exemple, qui a volonté à être diffusé (dans les salles et par des supports), et qui est lié à des enjeux économiques forts. Est-ce ou n’est -ce pas le 7e art ? Je comprends que l’on puisse lui refuser cette place, mais ça n’a rien d’évident. En outre, on peut avoir un Picasso dans son salon, c’est la cas de quelques personnes encore ; ça reste une œuvre d’art, il me semble.

- Concernant la réception : le parfum est effectivement un consommable. C’est ce qui, chez Kant, le retire définitivement des œuvres d’art, puisqu’on ne peut pas en partager la jouissance - alors que c’est le cas des arts visuels et auditifs. L’odorat, comme le goût, impliqueraient la destruction de l’objet pour en jouir, ce qui empêche une appréciation partageable de l’œuvre, et donc sa considération comme œuvre d’art (puisque l’art devrait pouvoir répondre, toujours selon Kant, et en simplifiant les choses, à un jugement à vocation universelle : quand je dis qu’un Picasso est de l’art, je ne dis pas seulement qu’il me plait à moi personnellement). Alors, bon, d’une part ce n’est pas une théorie avec laquelle je suis formellement d’accord, mais je vous passe ma justification personnelle. Reste qu’il faut garder en tête que ce n’est qu’une théorie parmi d’autres. Mais, d’une part, je crois, c’est ce que les "performances" artistiques tentent de contredire par le fait.
Mais d’autre part et surtout, n’est-ce pas justement la reproductibilité qui vient parer à ce problème de partage ? Bref, ne pourrait-on pas considérer que le parfum a pallié à un potentiel défaut du point de vue de la théorisation artistique par ce moyen ?
Malgré tout, reste que comme vous le soulignez, le parfum pose un problème parce qu’il est aussi (et peut-être d’abord) un objet à vendre. Mais c’est déjà le cas dans la peinture contemporaine, pour ne reprendre qu’un exemple admis. Est-ce que dire que la parfumerie est un art signifie que tous les parfums sont des œuvres d’art ? Certainement pas. La difficulté reste de trouver des critères de distinction entre les parfums artistiques et les parfums purement et simplement commerciaux. Et c’est je crois ce que l’on tente de faire ici, par la critique, malgré le gros problème d’un défaut de vocabulaire pour parler de la création olfactive.
Créer un parfum, ce n’est pas seulement mélanger quelques matières premières et reproduire ce mélange indéfiniment ; c’est aussi, parfois, construire quelque chose d’absolument nouveau (et c’est ce que défend Jicky ici même), et je ne vois pas ce que ce processus a à voir avec l’industriel. La création du parfum, a minima, est d’abord une "chose mentale", et j’ai vraiment du mal à voir ici une différence axiologique avec la création musicale, par exemple.

Un dernier point à ce trop long message : je ne cherche pas du tout à trancher le débat, ni à vous prouver que vous avez tort, ou que quelqu’un pourrait avoir raison. Je veux juste montrer qu’il y a matière à débat, et c’est une bonne chose, parce que c’est un tel débat qui nous permettra de déterminer des critères d’appréciation du parfum, même si ceux-ci ne sont pas figés ou absolus.
Et la question du positionnement marketing est en effet aussi un problème à garder à l’esprit quand on réfléchit à ces problèmes. Opium était notamment un des premiers parfums ouvertement positionné dans un prix bien au-delà de sa valeur marchande. C’est le cas de nombreux tableaux, notamment dans le marché de l’art actuel, mais déjà au début du Cinquecento qui constitue un tournant (Filippino Lippi s’enrichit par l’art alors même que son père, Filippo Lippi, vit dans l’indigence seulement quelques décennies auparavant). Est-ce que cela enlève à leur valeur artistique ? Je ne crois pas, mais on peut y réfléchir. Est-ce que le marché pose un problème supplémentaire de discrimination de l’œuvre d’art ? Certainement.

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