Auparfum

Le parfum comme oeuvre de l’esprit ? Pas pour 2014 !

6 janvier 2014, 11:39, par Jean-David

Voici ce que m’inspire le texte de Poivre bleu d’hier soir ; je répondrai du même coup à Chris.

1) Le statut d’oeuvre doit être reconnu au bénéfice de toutes les formules de la parfumerie artistique : parfums sous forme d’extrait, eaux et huiles de parfum, eaux de toilette, à l’exclusion des cosmétiques de type shampoings et gels. Si des molécules odorantes sont brevetées, à plus forte raison les formules complexes, formant oeuvre, doivent-elles être protégées.

2) C’est le parfumeur lui-même, créateur de la composition d’un parfum, qui doit se voir reconnaître le droit de propriété intellectuelle sur son oeuvre. La firme qui l’emploie, la marque commanditaire, font figure de producteur et d’intermédiaire ; à ce titre, elles tirent de la commercialisation de l’oeuvre la majorité des bénéfices qu’elle engendre. Il est tout à fait normal que le parfumeur ait vocation à recevoir un pourcentage de ces bénéfices, en tant que créateur, indépendamment du salaire perçu pour son travail.

3) A défaut de jurisprudence suffisamment créative et affranchie d’un ordre social favorable aux grandes firmes, c’est à la loi de corriger l’anomalie où nous nous trouvons : légiférer pour reconnaître au parfumeur un statut d’auteur, et au parfum celui d’oeuvre, engendrant des droits d’auteur pour son créateur.

4) Il ne faut donc pas reculer devant la complexité d’une situation dans laquelle le parfumeur n’est pas indépendant : c’est précisément à la loi de prendre la mesure des nécessités de notre temps, et de faire correspondre l’état du droit avec la réalité de la création.

5) A cette fin, c’est un devoir sacré pour les parfumeurs de se fédérer afin de faire progresser le droit, et c’est un devoir civique pour les citoyens que de faire pression pour le respect de la création et du patrimoine, dans toutes les formes de la loi.

6) Quant au ralentissement à prévoir dans la production, c’est tant mieux. Trop de flankers, trop de lancements, trop de piètres lancements tirent la parfumerie vers le bas, contribuant d’ailleurs à confiner celle-ci dans un rôle exclusif d’industrie, au détriment de son caractère artistique. Ce ralentissement ne sera pourtant pas fatal à l’industrie : tout au plus, les scandaleux bénéfices des grandes enseignes seront-ils ralentis durant quelques années. Le consommateur ne pourra que se féliciter d’être moins sollicité : il faut du temps pour qu’un parfum réellement artistique s’intègre à la culture. Autre effet bénéfique : un moindre anonymat du parfumeur, ce qui est important, tant du point de vue de la reconnaissance de cette profession, que de la transparence.

7) Le plagiat : il est parfaitement normal, dans le cadre de la protection de la propriété intellectuelle, de protéger les œuvres contre le plagiat de la même façon qu’on le fait pour les productions littéraires et pour la musique. Il est certes plus facile de faire constater un plagiat pour un texte que pour une musique, et ce doit être plus facile pour une musique que pour un parfum. Mais j’observe que des experts sont cités devant les tribunaux quand les magistrats ne peuvent à eux seuls reconnaître l’évidence d’un plagiat musical ; de la même manière, il ne serait pas difficile de dresser une liste d’experts auprès des tribunaux en matière de parfum, afin de distinguer le plagiat du simple emprunt ou de la simple proximité d’inspiration.

Il faut à ce propos distinguer le plagiat de la contrefaçon. Est-il possible, en dehors des cas de contrefaçon, de parler de plagiat en matière de parfumerie ? Oui, dès lors que l’on reconnaît au parfum le caractère d’une oeuvre, elle-même définie par le choix discriminant d’un ensemble de matériaux, de proportions, de formalisations, d’une conception d’ensemble et d’un résultat sensible. Ces éléments sont loin d’être exclusivement subjectifs.

8) Reformulations : là encore, si la propriété intellectuelle est reconnue, l’effet sera excellent pour le consommateur : le droit de faire un flanker ne sera pas remis en cause, de même que l’on peut librement reprendre une musique avec une autre orchestration. Mais il est indispensable à la protection du consommateur de ne pas brouiller son information : il faut donc respecter la formule originale qui s’attache au titre original d’une oeuvre.

9) Concernant les abus d’organisations non élues, qui méconnaissent la création et interdisent certaines matières sous le prétexte de protéger la santé publique, il est piquant de constater qu’elles ne trouvent rien à redire à l’utilisation de produits chimiques autrement dangereux que des produits naturels parfois allergènes, ni à l’intrusion de l’aluminium dans nombre de cosmétiques, alors que ce métal est nuisible à la santé. Là encore, c’est à la loi de remettre de l’ordre, et de faire prévaloir le politique, au sens noble du terme, sur la technocratie.

10) En conclusion, j’aimerais attirer votre attention sur le fait que la propriété attachée aux formules des parfums existe bel et bien ! Elle est simplement captée à leur profit par les sociétés qui emploient les parfumeurs, et par les sociétés qui exploitent les parfums, au lieu d’être principalement reconnue à leurs créateurs. La jurisprudence qui ne reconnaît pas le statut d’oeuvre de l’esprit au parfum n’est donc pas innocente : protectrice d’un ordre social reposant sur l’exploitation du travail, y compris du travail de l’esprit, par une caste de possédants, la justice a tout intérêt à traiter le parfum comme un banal produit de consommation, afin que les créateurs n’aient pas leur part dans les bénéfices engendrées par leur travail. Ce schéma peut bien se retourner contre de grandes marques, ponctuellement, comme dans le cas dont la Cour de cassation a eu à connaître ; le principal est de ne pas remettre en cause le schéma général qui protège "les honnêtes gens", c’est-à-dire le grand capital. Mais c’est peut-être là un très injuste procès d’intention à l’encontre des magistrats de la République ; qu’ils me pardonnent en ce cas ! Souhaitons simplement qu’ils se comportent bien en magistrats de la République, et non en garants d’un ordre injuste.

Allez, et ne pêchez point !

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