Auparfum

Parfums masculins : changement d’axe

Le Nez Bavard

par Le Nez Bavard, le 8 octobre 2013

Bonjour Tubéreuse et AdRem,

Je vais tenter de vous répondre ici, par rapport à ma position sur le travail du parfumeur, suite à la discussion sur les droits d’auteurs notamment.
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Je me suis faite prendre au piège je pense, ça m’apprendra. Toujours nuancer et rappeler le contexte lorsque l’on veut se faire comprendre : mon propos, quand il s’agit de qualifier le travail des parfumeurs, n’est pas de rabaisser la faculté de ceux-ci à rêver, à imaginer, à créer tout simplement. Vous avez tout à fait raison lorsque vous parler des grands peintres qui réalisaient des commandes pour le compte de clients prestigieux. C’est le cas aussi en musique, en architecture ou en sculpture depuis bien longtemps. Le problème pour moi, vient encore du fait que l’art du parfum n’en est pas au même stade que les autres aujourd’hui. Lorsque Picasso recevait une commande, le client avait conscience de faire appel à un artiste, et je pense que très rares ont été les fois où il lui a été demandé de recommencer son tableau (probablement y avait-il plusieurs croquis auparavant pour valider l’idée générale, mais je ne sais pas combien) Cela dit, je n’en sais trop rien car je ne suis malheureusement pas assez connaisseuse en peinture. Cela dit, je ne crois pas raconter trop d’inepties en disant que de façon générale, le rapport de force entre commanditaire / exécutant (et artiste !) dans les cas évoqués plus haut, était beaucoup plus équilibré qu’il ne l’est en parfumerie de nos jours. Qu’en est-il pour le parfumeur donc ?
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Je ne pense pas me tromper en disant qu’un client qui se présente avec un brief (ou pas en effet ;-) ) chez Givaudan ou Firmenich ou autres, n’a pas toujours conscience de faire appel à des artistes qui, rappelons-le, ne se considèrent pas tous eux-mêmes de cette manière. Les parfumeurs, une ressource fondamentale pour leurs employeurs, nous sommes parfaitement d’accord là-dessus, restent cependant des salariés subordonnés à une direction managériale qui leur demande de faire ce pour quoi ils sont très bien payés en effet : des parfums. Certes, mais faits en fonction de ce que le client demande, quelles que soient leurs aspirations personnelles et leur recherche du beau. Rappelons-nous bien, la parfumerie aujourd’hui, c’est du business ! Ce n’est pas un art, et la recherche du beau… c’est pour plus tard, ou alors c’est hors-sujet, hors des réalités très concrètes de cette industrie aujourd’hui. Dans ce cadre-là, je reste donc sur mon idée première : le parfumeur propose, le client dispose. Il exécute une demande. (Et vous pourriez me rétorquer que le cinéma ou la musique sont des arts et produisent pourtant aussi des produits hautement commerciaux ! Je réponds certes, mais le status de beaucoup d’intervenants est mieux reconnu et protégé, car la structure de ces milieux est plus adaptée. De plus, ceux qui aiment faire de l’art, arrivent quand même à en faire, car on leur fait un peu plus confiance lorsqu’ils proposent quelque chose !)
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C’est là où je veux rester claire : je n’ai jamais dit que les parfumeurs étaient des machines ! Ni qu’ils ne faisaient pas appel à des compétences critiques qu’ils sont les seuls à détenir ! Je dis simplement que dans l’état actuel des choses, ce métier n’est pas valorisé à sa juste valeur dans les sociétés de compositions et que ceux qui l’exercent ne sont pas entendu comme ils le devraient, par leurs directions et par leurs clients. Jeanne le disait très justement dans son commentaire, mais l’équation en revient à savoir si on veut défendre une vision du parfum autre que celle que nous renvoient les tests consommateurs, au risque de se voir écarté des projets (comme ce fut le cas pour Bertrand Duchaufour chez Symrise), ou si l’on souhaite continuer à avancer dans sa carrière.
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Alors oui, bien sûr, entendons-nous bien, tous les clients ne sont pas les mêmes, et tous les projets ne sont pas bons à jeter à la poubelle. Non ! Heureusement, sinon la parfumerie serait vraiment morte ! Je reste convaincue que la parfumerie a encore de belles choses à offrir, et continue de le faire tous les ans, pour qui sait chercher et sentir. Pour prendre un exemple concret : Christine Nagel (dont on aime ou pas le style, personnellement, j’aime bien) a sorti cette année deux parfums arrivés sur le marché le mois dernier : Si d’Armani et Elle L’Aime de Lolita Lempicka. J’ai eu l’occasion de discuter avec elle de ces 2 lancements. Avant même de vous donner son avis, il est clair qu’elle s’est probablement un peu plus éclatée à faire le dernier Lempicka que l’autre. Et cela se sent d’ailleurs assez bien lorsque l’on met les deux mouillettes côte à côte. On a d’un côté, un brief plutôt inspirant : donner une odeur à une imaginaire fleur de coco et de l’autre… honnêtement, je ne sais pas ;-) (elle ne m’en a pas parlé d’ailleurs, preuve qu’il ne devait pas être très folichon). Mais le résultat est là, chez L’Oréal (qui a une TRÈS fâcheuse tendance à multiplier ses recettes dans toutes les marques qu’elle possède), on se retrouve avec certes un départ très joli (qu’elle a bien défendu et que je lui concède) de cassis noir très réaliste, mais qui sombre ensuite sur une soupe fleurie assez indistincte et se termine sur de la vanille et du sucre. En gros : on s’ennuie. Chez Lempicka, on a une vraie idée directrice qui dirige le parfum et lui donne une vraie présence ! Après, on n’est pas obligé d’aimer, mais il y a un vrai gap entre les deux.
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Alors oui, tout dépend du client et de sa volonté. Il y a ceux qui voudront un succès immédiat, une adhésion du plus grand nombre, quitte pour cela à proposer une fragrance simpliste, sombrant dans la facilité et le primaire, dépourvue de toute émotion, mais qui sera si bien emballée et promotionnée à coups de millions avec de beaux mots/concepts/images/égérie qu’elle sera sûre de fonctionner. Il y a ceux qui ne savent ce qu’ils veulent aussi, qui sont un peu paumé, et qui sont partagé entre l’idée de faire un parfum qui a un peu de caractère, mais qui en même temps veulent s’inspirer des grands succès que l’on nous martèle en grande surface (Nocipharionaud), et dont les projets aboutissent à des hybrides sans colonne vertébrale et sans propos. Il y a enfin ceux qui ont envie d’une vraie création, d’un travail abouti, qui se tient et qui saura séduire celles et ceux qu’ils doivent séduire, sans se préoccuper de plaire à la terre entière et en se donnant le temps d’y arriver. Les derniers clients sont ceux, il me semble, qui se font les plus rares aujourd’hui. Ils étaient bien plus nombreux à l’époque de nos parents (j’ai 27 ans, disons les années 80 :)).
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On a laissé les choses aller, probablement parce qu’on ne pouvait pas prévoir ce qui se passerait, cédant à la facilité et à la vision au court-terme proprement dévastatrice et qui aujourd’hui gangrène ce domaine. Qu’est-ce la parfumerie de nos jours, si ce n’est un tout affaibli par ses enjeux contradictoires, entretenus et voulus par les grands groupes de luxe, qui ne veulent pas que la profession se fédère assez pour rééquilibrer les rapports de forces, où chacun voit midi à sa porte, et où le dogme de l’individualisme est comme partout ailleurs érigé en accomplissement suprême ? Qu’est-ce que la parfumerie si ce n’est une vieille puissance muette et désarmée, qui à force de se taire et de se laisser marcher dessus par les plus cupides, est aujourd’hui menacée par la paranoïa sécuritaire mettant en danger son univers à cause d’éruptions cutanées … ?

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