Auparfum

Géranium pour Monsieur

Passacaille

par Passacaille, le 7 août 2015

Trouvé dans le très beau livre, La Fleur et son Parfum de Jean de Bosschère qui à été réédité très récemment, voici un passage qui illustre très précisément et avec grande poésie le parfum de Dominique Ropion :

"Et voici, dans sa rédaction originale, ma note sur le Géranium. Le bonheur de renter dans le laboratoire avec une belle récolte de plantes et d’insectes, surtout si ce laboratoire est souvent une chambre d’auberge ou un grenier, et qu’il n’oblige pas, ni n’engage à la science ! La joie pourtant de s’asseoir dans la paix, à coté des crayons et des plumes, de la lampe et du microscope !
Cette fois mon butin est une simple plante de Géranium, empruntée à l’aubergiste. Elle est là, sur ma table et doit servir à une expérience souvent répétée. Elle est le seul être vivant au milieu de tous ces objets faits avec des pépites qui ont passé aux fonderies, cette armoire et cette fenêtre bâties avec des arbres assassinés, cette nappe de raphia arrachée aux palmiers, ces rideaux de laine tondue à l’échine des brebis.
Je dis que l’expérience fut souvent renouvelée, parce qu’elle ne produit jamais de conclusion. Tout de suite la voilà enrayée. L’esprit est assailli par des souvenirs qui, peut être, barrent la route à ce qui aiderait à saisir l’émotion olfactive actuelle, originale. D’ailleurs, ce parfum est tellement un roi pour moi, que, palladium des parfums, il gouverne les plus grands. Si l’enfance élevait des autels, la mienne eût mis la senteur du Géranium sur un trône unique et le plus haut.

Pour l’analyse, se présentent des éléments peu appréciés, peu connus, et auxquels on n’a jamais prêté ni attention ni valeur. Il faudrait, pour imaginer ce parfum, avoir remarqué l’odeur de terreau noir et frais et, d’autre part, l’arôme de la feuille de Géranium déjà touchée par la mort. Nulle plume ne dira la nuance olfactive qui s’insère entre les deux odeurs. Or, sensoriellement tout comme scientifiquement, n’est-ce pas la nuance qui fait le parfum ?

Chaque membre de cette plante émet une senteur différente. La couverture tomenteuse de la feuille jeune répète l’odeur de l’algue d’eau douce que l’on pêche avec des têtards ; à l’odeur des pétioles s’ajoute une onde de citronnelle. M’étant penché sur les fleurs de la potée que j’ai apportée dans mon laboratoire, il arrive ce que je craignais. Je fuis d’abord l’ensorcellement, je sors et vais demander compte de leur parfum à toutes les fleurs des autres Géraniums qui sont restés à ma porte, comme d’ironiques défis. Toutes, à travers l’ardeur inouïe du Géranium, me lancent le même mot : tabac, le tabac que fumait mon jardinier avant 1931 ; toutes sont imprégnées de l’odeur du tabac que fumait Hervault, mort il y a plusieurs années. Je ne ferai donc aucune nouvelle tentative de traverser la zone impérative des associations mentales.

Le même duvet, plus serré toutefois, voile la feuille des Menthes et, je ne sais pour quelle autre raison encore, il me semble que ces plantes devraient émaner des odeurs très voisines de celles du Géranium. Elles sont toutefois très différentes. Si la Menthe semble bien avoir l’arôme qu’annonce son aspect, c’est, sans doute, encore une fois que cet aspect est depuis toujours indissoluble de son parfum. Celui-ci émane des poils, terminés par une glande odoriférante, qui s’enchevêtrent comme une chevelure d’enfant non peigné, à la surface des feuilles. Sous les jeunes limbes, la couche duveteuse, atteignant parfois un millimètre d’épaisseur, la plante parait toute vêtue d’un burnous, qui protège sa fraicheur contre les couteaux d’or du soleil d’été. Son parfum est celui de l’eau profonde qui submerge rapidement et redescend plus vivement encore les cailloux ronds d’un torrent. Il y a toujours sur l’onde quelques bonds de truite ou, devant les roseaux, la flèche bleue d’un martin-pêcheur, et plus loin, image de bonheur, quelqu’un lit dans l’ombre d’une Pluie d’or. Si l’on coupe la tige de Menthe, après quelques instants l’odeur aquatique se mue en celle des vapeurs qui émanent du métal mordu par certains acides. C’est donc une senteur de pomme sectionnée avec un couteau d’acier qui vient se combiner à un faible arôme de noisette fraîche."

Jean de Bosschère, Nohant, aout 1938

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