Auparfum

Cuir

George Kaplan

par George Kaplan, le 18 octobre 2015

« J’aime bien, on dirait du Guerlain, ça donne envie de se rouler dedans », m’a lancé une collègue le matin où je suis arrivé au travail avec, dans ma poche, l’échantillon de Cuir de la maison Le Galion. Je lui avais glissé, la veille, que j’allais écrire un texte sur un nouveau parfum dont j’attendais un échantillon. Alors je le lui ai fait sentir. Comme ça. Pour voir. Du Guerlain ? Ah bon. Je me suis tourné vers Patron, qui a, entre autres défauts, une sympathique curiosité pour mon parcours de « parfumista ». Je lui passe le petit flacon, il le porte à ses narines : « Ah, c’est du viril, du brutal ! Il y a une entrée de tabac, il y a quelque chose de fumé, c’est extrêmement fort. »

C’est curieux. Je ne suis pas un « nez », je ne trempe mes orteils nasaux dans les très riches eaux de la belle parfumerie que depuis peu, mais… que diable peut-il y avoir de Guerlain ici ? Je me rappelle bien avoir senti, il y a quelques mois, Cuir Beluga, créé pour le 68, avenue des Champs-Élysées. J’avais aimé son velouté délicat et vanillé, mais je ne vois pas le rapport avec ce Cuir de Vanina Muracciole. Et je ne suis pas certains que Collègue ait bercé ses narines au-dessus de la composition d’Olivier Polge.

Quant à Patron, je le soupçonne d’être resté, par association d’idées, sur une formule de cuir de Russie que je lui avais fait humer il y a quelque temps. Pas celle de Chanel, non. Celle d’un fabricant d’eaux de Cologne bien connu des passants du boulevard de Sébastopol, loin de l’archipel des grandes maisons parisiennes. Ce cuir à la russe, oui, c’était du brutal, une lotion d’homme, que nulle Polonaise n’aurait eu l’idée de « splasher » sur son mâle avant le petit déjeuner. Ce qui est intéressant, dans la parfumerie de niche, c’est qu’elle ne met pas tout le monde d’accord. Les jeux sont ouverts. Et ça me plaît.

Alors, ce Cuir du Galion ? Quand j’ai humecté mon poignet d’une goutte de cette eau de parfum que j’attendais avec une excitation presque enfantine, j’ai été à la fois rassuré et surpris. Mais oui ! Une belle note de cuir. Mais pas un cuir épais, tannique, agressif. Un cuir ensoleillé comme la robe d’un jeune cheval flânant sous les bergamotiers de Calabre. Un cuir fin, chaud, vivant, qui se mâtine d’effluves boisés. Une pièce d’acajou sur l’établi d’un ébéniste, ou la branche d’un arbre en lisière qui garde quelques notes d’humus et de mousse – le sous-bois n’est pas loin. Mais un cuir qui n’est pas sauvage : celui d’une veste en veau havane, celui d’un gant en peau de chèvre, celui d’un fauteuil tiède dans le salon d’un hobereau anglais.

Rien de bling-bling ou de tape-à-l’œil (tape-au-nez) dans ce parfum. Je suis transporté non dans l’opulent château de la famille Crawley (Downton Abbey), mais dans la demeure d’Andrew Wyke, l’auteur de romans policiers qui, dans Le Limier de Joseph L. Mankiewicz, joue avec Milo Tindle, fringant coiffeur londonien. Le « bloody game » en moins. Il ne s’agit pas, ici, d’assassiner l’autre, mais de tuer le temps. On se détend dans la bibliothèque, on devise, on plaisante, on oublie les aspérités du siècle, on joue aux aristocrates modernes. On ne se privera pas d’allumer un bon cigare – coucou Patron ! –, ni de caresser les lys blancs du bouquet qui s’épanouit sur le guéridon ciré, ni de jeter par la fenêtre un œil sur le labyrinthe végétal qui donne le ton au jardin.

Ce Cuir ne m’évoque pas – j’en suis navré pour la marque – ce « très beau sac de luxe à la surface aussi douce que la peau dans le cou de [la femme] qui le porte » d’abord imaginé par Paul Vacher pour Diorling et que Le Galion d’aujourd’hui rapporte des années 1960 comme une cargaison qui a fait un long voyage. Il m’évoque Laurence Olivier et Michael Caine, les acteurs du Limier. Deux hommes opposés et pourtant si complémentaires : le vieil aristocrate sûr de lui et de son bon goût ; la jeune canaille du Swinging London capable de tout et notamment de se rire des choses trop sérieuses.

En cet instant où je hume une dernière fois mon poignet patiné de ce Cuir qui ne cesse de me titiller, je les vois, Laurence et Michael, s’amuser avec mon flacon comme Talleyrand recommandait de savourer un bon armagnac : « On prend son verre au creux de la main, on le réchauffe, on l’agite en lui donnant une impulsion circulaire afin que l’alcool dégage son parfum. Alors on le porte à ses narines. On le respire. Puis on pose son verre. Et on en parle. »

En ai-je bien parlé ? Je ne le sais. Ce Cuir m’échappe de jour en jour, mais me charme de plus en plus. Je le trouve « imaginaire, crémeux » (je reprends à mon compte, Le Galion, ces adjectifs lus sur votre site – tout n’est pas perdu !), affirmé de caractère mais doux, masculin mais pas si viril (une femme le porterait fort bien), rétro mais pas vieillot, élégant, troublant et rassurant. Bien mystérieux, finalement. Les heures passent. L’histoire tient admirablement. Elle se mêle à moi au point que je me demande si la peau de ce Cuir n’est pas… la mienne.

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