Auparfum

Vétiver

Jean-David

par Jean-David, le 19 novembre 2014

Merci, Jeanne, de parler de Carven, qui est un sujet qui me passionne depuis que je suis "né" (nez ?) au parfum. J’ai porté Vétiver de Carven pendant de longues années d’adolescence et de jeunesse, dans les années 80. C’était même, pendant une longue période, mon parfum attitré, principal, quasi-quotidien, après que j’eus porté le fabuleux Monsieur Carven pendant des années, et avant d’adopter Ma Griffe. C’est dire si je suis un carvéniste de longue date et de stricte observance.

Je vais être péremptoire : Vétiver 2014 n’est pas Vétiver Carven-canal historique, et ce n’est pas qu’une affaire d’IFRA. Ce parfum n’est pas une tentative de repesée de la formule ancienne, légèrement retouchée pour se conformer à une réglementation tatillonne ; c’est une autre eau de toilette. Je ne nie pas qu’elle ait un petit air de famille, mais il est lointain, lointain, cet air, et j’ai bien du mal à reconnaître ma chanson ; certes, il y a du citron et du vétiver, mais cela n’en fait pas un même parfum. Parmi les vétivers qu’offrent aujourd’hui les diverses marques, celui de Lubin est, paradoxalement, plus proche du Carven 57 que ne l’est son propre successeur de 2014.

Je dis tout cela avec une certaine tristesse, parce que Vétiver était un grand classique, en raison du fait qu’il était le premier vétiver, et tout simplement parce qu’il était un très beau vétiver et un très beau parfum. De la part de l’équipe actuelle du département parfums de Carven, l’attitude qui consiste - contre une réalité d’autant plus difficile à cerner qu’elle suppose la connaissance du parfum original - à affirmer que l’on relance Vétiver 1957 à l’identique, ou presque, induit le consommateur en erreur, et place la parfumeuse assignée à cette mission en porte-à-faux.

Quelles sont donc les différences majeures entre la version des années 80 et celle d’aujourd’hui ? Le vétiver original était beaucoup plus riche en... vétiver ! Celui-ci était beaucoup plus dosé, il apparaissait dès les notes de tête, ensemble avec un citron beaucoup plus fusant, pétillant, plein d’esprit et de gaîté. Précisément, ce n’était pas la moindre originalité de ce parfum, à son époque, que de placer le vétiver en tête, au premier plan du tableau, et de maintenir sa présence vibrante, rayonnante, jusqu’au terme de sa longue rémanence. Le couple vétiver-citron était d’autre part beaucoup plus naturel. Le vétiver était de toute première qualité, son naturel, sa provenance, sa teneur, garantissaient une richesse de facettes avec laquelle ne peut rivaliser la version actuelle, où la matière-titre est devenue presque un acteur parmi d’autres.

Par ailleurs, Vétiver était un parfum sec, ce qui n’était pas pour rien dans son élégance BCBG ; la version actuelle incline, sur ma peau du moins, vers une douceur, un côté presque gourmand, et une note cuirée (qui le rapprochent davantage d’un Vétiver Tonka, avec certes bien moins de de chair, de complexité et de tenue) ; cette douceur donne l’impression que l’on a voulu faire du "rétro mis au goût du jour", du "vintage actualisé", quand on attendait une reconstitution fidèle. Attendre des marques qu’elles reconstituent leurs grands titres du passé n’est pas une attitude réactionnaire ou passéiste : il s’agit de savoir si l’on veut faire vivre des chefs-d’oeuvre d’autrefois, les transmettre aux nouvelles générations, ou si l’on entend brouiller les pistes et tirer parti d’un prestige passé pour s’inscrire, en fin de compte, dans le flot continu des nouveautés calibrées.

Quant au sillage et à la tenue, là encore, la comparaison est au grand désavantage de la composition de 2014 : 1957 avait de la présence, de l’éclat, et une tenue moyenne de quelques heures, quelques heures durant lesquelles le sillage se maintenait plutôt bien. 2014 s’évanouit bien vite et n’a presque pas de sillage. On pourra toujours nous répondre qu’on a voulu faire un "parfum de peau", mais tel n’était pas l’esprit de 1957, ni celui des années 80 (à supposer que la version 80 différât de celle de 57, ce qui semble être quelque peu le cas, quoique la continuité de conception fût indiscutable).

Carven affiche, depuis quelques années, la volonté de revenir sur la scène du parfum, en relançant des titres classiques (Ma Griffe fut le premier) et en créant de nouvelles pièces. Encore faut-il se donner les moyens d’un retour réussi, et choisir définitivement son camp : celui de la fidélité aux chefs-d’oeuvre de jadis et de la hardiesse d’inspiration pour l’avenir, ou celui de la confusion quant au passé, et de l’inscription des nouveautés dans le courant générique des centaines de parfums annuels.

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