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Flacon de Speakeasy - Parfums Frapin & Cie
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Parlez doucement et fumez fort

par Samuel Douillet, le 20 septembre 2019

Où l’on s’adonne avec délice et sans conséquences aux vapeurs de l’alcool et du tabac.

La famille Frapin s’installe en 1270 à Segonzac en Charente, sur les terres qui allaient produire le célèbre cognac. Aujourd’hui, l’histoire continue au château de Fontpinot, sur ces mêmes terres ancestrales, et la maison élabore toujours son cognac « Grande-Champagne ».

David Frossard, de son côté, est un entrepreneur avec une expérience internationale dans la parfumerie - il a tour à tour officié en Afrique comme distributeur de marques françaises, puis chez l’Artisan parfumeur comme directeur export. Au milieu des années 2000 il rencontre à l’ISIPCA le maître de chai de la maison Frapin, qui lui fait visiter le domaine et découvrir le procédé d’élaboration du cognac. David Frossard est particulièrement intéressé par le rapport au temps qui y existe : la production est le fruit de 30 années de travail, qui se transmet de génération en génération, aussi le plus grand soin doit être apporté à chaque étape de la création.

Tissant des liens entre cognac et fragrance, les deux personnages font le pari un peu fou de lancer une gamme de parfums inspirée par le fameux breuvage, et par les alcools ou les spiritueux en général.

Plusieurs créations réussies voient le jour : 1697 en collaboration avec Bertrand Duchaufour - un condensé liquoreux de rhum, de vanille et de fruits et d’épices - ou encore L’Humaniste, qui rend hommage à Rabelais (ancêtre de la famille Frapin) avec une eau chic qui explore l’accord gin et agrumes.

En 2012, David Frossard fait appel à Marc-Antoine Corticchiato qui pour la première fois, va formuler en dehors de sa marque Parfum d’Empire (depuis, il remet le couvert régulièrement en créant pour La Parfumerie Moderne). Il lui commande Speakeasy, un parfum inspiré par la période qu’Ernest Hemingway (grand buveur devant l’éternel) a passé dans les Keys, cet archipel décousu de micro-îles entre la Floride et Cuba. Le grand Ernest s’y installe en 1928 et passe son temps à la pêche, l’écriture d’une bonne partie de son oeuvre, et la fréquentation de bars colorés et clandestins - avant la fin de la Prohibition en 1933.

La Prohibition, c’est elle qui fournit le cadre de Speakeasy : l’alcool étant interdit, il fallait "parler doucement" et rester discret pour le consommer en toute impunité, souvent à l’arrière boutique d’établissements hors de tout reproche ; cet aménagement est d’ailleurs revenu à la mode ces dernières années à Paris.

Autre plan, toujours en lien avec Hemingway et la Prohibition : le film Le Port de l’angoisse (1944) avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall (et une superbe bande-son), adaptation de la nouvelle d’Hemingway Une drôle de traversée (1934) puis son développement en roman En avoir ou pas (1937).

Bon, j’ai vraiment mis du temps à installer l’ambiance, mais à présent venons-en à Speakeasy, le parfum. L’ouverture dévoile une orange trempée dans un verre de rhum ambré, que rejoint rapidement un effet montant aromatique et frais : l’accord mojito (limette-menthe) qui donne sa patte au parfum. On sent qu’on est plongé dans un cocktail assez chargé, mais qui va s’étirer pour prolonger son propos vers la deuxième thématique.

Le fil est tiré par la douceur « sucre de canne » du rhum pour installer petit à petit un tabac, gourmand et ambré avec un aspect coumariné de fève tonka. Ce tabac blond imbibé d’alcool aux agrumes est accompagné d’immortelle selon la marque, mais j’avoue avoir du mal à la déceler dans cette botte de foin - j’associe souvent l’immortelle à quelque chose de très sec, voire goudron, ce que je ne retrouve pas vraiment ici. Enfin, la note de fond oscille entre le prolongement du tabac qui devient de plus en plus gourmand et une atmosphère plus sombre (cuir, labdanum).

Lors de sa sortie, j’avais tout de suite été enthousiasmé par Speakeasy. Après quelques années de recul, je me dis qu’il est peut-être un poil premier degré, ou bien alors faudrait-il déconnecter un peu l’odeur de son décorum « alcool/tabac/fumoir/club de jazz/film noir et blanc ». Disons qu’il est calibré et bien compréhensible. Mais à la suite de cette pensée, je me repenche sur mon bras et me dis qu’il sent décidément très bon et que c’est ce qui compte le plus.

Pour relier Speakeasy à ses pairs, je ne le placerai pas dans la même veine que Fumerie turque (2003) ou Ambre narguilé (2004), qui sont des tabacs orientaux explicites, chichas plutôt que cigares. Je le vois plus proche d’un Volutes - version eau de toilette - sorti presque simultanément et avec il partage le couple tabac-coumarine. Ce dernier pour sa part penche aussi vers Tobacco vanille avec son miel très marqué et Dior Homme avec son iris apprivoisé.

En tout cas, Speakeasy semble avoir grandement participé au retour du tabac en parfumerie, car mis à part le Diptyque, Cuir Cuba intense (2014) a suivi - même ambiance tropicale mais sans alcool - puis Tabac tabou (2015), dans lequel Marc-Antoine Corticchiato s’approprie complètement la feuille de tabac en la décontruisant sous toutes ses coutures (florales, végétales, animales). On peut aussi parler d’Hyperbole, lancé en grand public en 2016 et Naja par la regrettée Vero Kern, qui sort des sentiers battus en proposant un tabac médicinal et apaisant (tilleul/miel).

Un jalon pas indispensable, donc, mais qui se distingue dans la parfumerie de niche des années 2010.

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Farnesiano

par Farnesiano, le 24 septembre 2019 à 20:15

Ah, les Frapin ! Ils méritent tous le détour, indépendamment de leur excellent rapport qualité prix. Mes premiers coups de cœur furent Caravelle épicée, Passion boisée et Terre de Sarment, ces deux derniers plongés soit dans du rhum, du cognac, soit dans du vin. À ces fruits mûris et alcoolisés, ajoutez un séjour dans des bois authentiques, rehaussés de magnifiques épices : c’est toujours noble et beau, sincère et attachant. Puis l’ensorcelant et complexe "1697" gagna mes faveurs en m’invitant plus que Caravelle épicée et tout en me gardant dans ma chambre, à un voyage dans un pays d’aventures et de sensualité sur un bateau dont Duchaufour était le capitaine. Enfin vinrent Speakeasy, et son subtil tabac (odeur à laquelle je m’étais familiarisé e. a. grâce à Hommage à l’Homme de Lalique sorti un an plus tôt) et surtout le bouleversant Nevermore dont la rose épicée, tour à tour sombre et lumineuse, mélancolique et mystérieuse, allait me conquérir jusqu’à l’évanouissement. La majorité des Frapin évoqueraient-ils un univers plus masculin que féminin ? C’est possible mais pourquoi pas ! Un seul regret : n’avoir pas connu Esprit de Fleurs, aujourd’hui discontinué.
PS. Je découvre à l’instant que le site ne mentionne plus "1697". What a pity !

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par Iridescente, le 25 septembre 2019 à 10:48

1697 a été discontinué, en effet. Il est parfaitement introuvable, je cherche depuis fort longtemps. Une tragédie pour moi, dont c’était le préféré, et de loin ! Il me semble que ces Frapin très alcoolisés sont ce que la gamme récente des Lubin « légendaires » (Korrigan, Galaad, etc.) tentait d’obtenir ? Ce sont souvent des parfums très enracinés, non un dépaysement mais un « enpaysement », moins une invitation au voyage que le fruit d’une lente maturation selon une recette patiemment élaborée.

J’ai la nette impression que la ligne s’adresse aux hommes, et je présume que cela participe d’un préjugé sur les habitudes féminines en matière d’alcools forts : traditionnellement, les dames sirotent un petit vin cuit, un rien de liqueur, pas des eaux-de-vie. Il doit y avoir du placement marketing là-dessous.

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par Farnesiano, le 25 septembre 2019 à 20:25

Je déplore sincèrement la disparition de 1697, parfum singulier, bien " enraciné " comme vous le soulignez si justement, dans l’univers riche et complexe d’un alcool authentiquement français, le cognac. Je possède le flacon d’origine en verre brun foncé, avec les quatre chiffres magiques encadrés par de jolis guillemets. Ceux-ci ont disparu avec le temps, comme la pastille de laiton en forme de large anneau qui ornait les bouchons de bois de toute la collection. J’ai d’abord découvert 1697 dans sa version dite " absolu " qui était d’une force, d’une intensité, d’une profondeur inouïes. Très vite épuisée (ou était-ce le parfum de démonstration ?), cette formulation évolua en eau de parfum que l’on connaît, jus qui du flacon brun passa dans le flacon transparent de tous les Frapin actuels.
À la même époque, la marque proposait des parfums d’intérieur et des bougies remarquables. Celle intitulée Le Bureau diffusait dans ma chambre cèdre, cèdre, encens, ambre et cuir, tout ce que j’aime ! Un bonheur embaumant lui aussi disparu...

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par ghost7sam, le 17 octobre 2019 à 14:05

Farnesiano, je me souviens d’ailleurs d’un de vos posts quelque part sur ce site, où vous racontiez vos impressions en sentant la bougie "Le Bureau". C’était très beau !

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par ghost7sam, le 17 octobre 2019 à 14:08

Bonjour Iridescente, merci pour votre commentaire.
Il y a probablement du placement marketing, je pense que le préjugé dont vous parlez a sûrement son mot à dire aussi. Dans l’imaginaire collectif, c’est plutôt l’homme qui sirote cognac et autres spiritueux...
Le fait que le Directeur Artistique de la marque soit un monsieur influence peut-être le style des créations...
Pour atténuer tout ça, il me semble qu’un des récents lancements ("Laskarina" je crois ?) est plutôt féminin.
— 
peace

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par ghost7sam, le 17 octobre 2019 à 14:03

Hello Farnesiano, merci pour votre commentaire.
Je me souviens que vous êtes un fervent amateur de Frapin :-)
Mes narines ne se souviennent pas bien du tout de Passion Boisée, Caravelle Epicée et Terre de Sarment.
En revanche, j’étais présent au lancement de Nevermore il y a 5 ans, et j’avais bien aimé sa froideur tout droit sortie du début du XIXème siècle ; il pourrait d’ailleurs être le parfum de Tom Hardy dans la superbe série Taboo.
Je pourrais juste reprocher un peu à Nevermore sa signature assez chargée en bois ambrés, mais c’est plutôt récurrent chez le duo de parfumeuses derrière ce projet.
Pour 1697, je me suis réveillé trop tard et bien que l’ayant senti à la même époque, je ne me souviens que d’une ouverture très chargée en fruits et en alcool (un peu comme Le Dandy chez D’Orsay) à la limite de l’écœurement pour moi - mais dommage j’aurais bien voulu connaître l’évolution.
J’ai aussi souvent lu que 1697 était assez proche du tout autant regretté Havana Vanille / Vanille Absolument chez l’Artisan, par le même Bertrand Duchaufour et à la même époque... Bref, deux œuvres pour lesquelles j’ai loupé le coche.
Pour terminer, je suis étonné de la parenté avec Hommage à l’Homme chez Lalique et je vais me pencher dessus car je ne l’ai jamais senti non plus.

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par Farnesiano, le 17 octobre 2019 à 17:41

Bonsoir, Ghost7sam.
Quelle mémoire, merci ! Je me souviens aussi, quoique vaguement, de mon évocation de cette bougie dite Le Bureau mais cela me semble si loin. Il m’en reste un centimètre qui, à sec, a perdu tout son pouvoir évocateur.
Pas de réelle parenté entre Speakeasy et Hommage à l’Homme si ce n’est, à mes narines, l’évocation d’une fine odeur de tabac.
J’ai moi-même aussi manqué l’achat de Havana Vanille. Je me rappelle l’avoir senti au passage, trop rapidement sans doute, mais là aussi, le temps a passé. Maintenant, il me faut découvrir ce beau Dandy D’Orsay, marque jamais croisée en Belgique...
À propos de rose, je reportais hier le quelque peu tonitruant Spellbound dont le départ, (c’en vraiment est un, et en trombe !) est proprement détonnant : explosion d’épices autour d’une rose. Puis apparaît l’œillet, viennent ensuite d’autres fleurs, la chaleur des bois, la chaleur de l’ambre et des baumes, c’est dingue ce parfum, même dosé. Autre rose encore, plus froide, à laquelle enfin j’ai cédé aujourd’hui : Perles de Lalique. Senti souvent, jamais acheté, mais c’est chose faite. Étonnant chypre que celui-là, qui a tout pour devenir un grand classique ! Et ce patchouli en état de grâce...
À bientôt.

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Farnesiano

Farnesiano

a porté Speakeasy le 4 juin 2022

Le parfum, à l’instar du rêve, n’est rien d’autre que l’imagination de la mémoire, ici mise en flacon.
Sa note :
Farnesiano

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