Auparfum

Léa : “Le parfum sert à sublimer le spleen quotidien”

par Clara Muller, le 24 juillet 2015

La parfumerie dite de niche (ou, si l’on préfère, parfumerie rare, artistique, alternative...) se caractérise notamment par la rareté de sa diffusion. Les quelques lieux spécialisés qui, à Paris et ailleurs, se vouent à sa promotion se font généralement très discrets.

Tout au long de l’été, Auparfum vous fera ainsi découvrir le charme discret de marie antoinette, l’ambiance bar de Liquides, la majesté de Jovoy, l’énergie chaleureuse de Sens Unique, le patriotisme de Atelier Maître Parfumeur ou encore le traditionalisme de Arôma Parfums & Soins.

Une fois entré dans l’une de ces boutiques, l’accueil, le décor, tout y évoque un univers singulier où les odeurs ne sont pas répandues dans l’atmosphère en grandes flaques, mais aimablement diffusées par les quelques « visiteurs » ou par les maîtres des lieux.

Chacun de ces lieux a sa personnalité propre, ses parti pris, ses marques (parfois exclusives) et vous accueille comme l’on reçoit un proche. En échange d’un grand sourire, on vous offrira même peut-être un café. L’objectif n’est pas seulement de vous vendre un flacon, mais de vous ouvrir à tout un univers olfactif. Dans ces lieux uniques, le conseil a un nom ou plutôt un prénom : Antonio, Renata, Léa, François... et les autres.

Nous les avons rencontrés, en attendant que vous fassiez leur connaissance par vous-même. Et promis, dès que possible, nous décollerons de la capitale et vous parlerons… du reste du monde !


Derrière le fameux bar de Liquides, Léa a accepté de répondre aux questions de AuParfum. La dernière née des boutiques de niche parisiennes, fondée en 2013 par David Frossard, est un lieu à la fois brut et sophistiqué, tout de pierre, de bois et de laiton doré. Derrière un bar s’aligne les flacons, intouchables, mystérieux. Le long de la baie vitrée une confortable banquette et une table basse accentuent l’effet lounge du lieu. Tout vous invite ici à la dégustation.


Auparfum : Comment êtes-vous arrivée dans le monde du parfum ?

Léa : Par le hasard de la vie. Je n’ai pas fait d’études autour du parfum, ce n’était même pas un centre d’intérêt. Mais la vie est faite de rencontres. Mon compagnon a une formation d’oenologue, ce qui m’a ouvert à l’art du vin. Je me suis rendu compte que le vin était un véritable art de vivre. Il y a derrière de vrais métiers de création et d’assemblage. Quand j’étais enceinte de mon premier enfant je ne pouvais plus boire et je me suis surprise à sentir pour ne pas être mise à l’écart des discussions sur le vin. Je me suis passionnée pour l’odeur des vins. J’ai été surprise de pouvoir reconnaître un terroir, une région, un domaine, même un vigneron, juste par le nez. J’ai lu beaucoup de livres sur l’oenologie et je me suis demandé si je ne voulais pas travailler dans ce milieu. Mais c’est un milieu difficile car assez masculin.

Puis j’ai rencontré David Frossard et il a été très intéressé par le fait que je ne venais pas du milieu technique du parfum. C’est une bonne chose lorsqu’il s’agit de parler d’émotions. Bien sûr, avec le temps, j’ai beaucoup appris sur la technique mais au début c’était un avantage de ne pas être dans la technicité car avant tout le parfum est un voyage, un rêve. J’avoue qu’au début pour moi l’industrie du parfum était plus liée à l’industrie du luxe car je ne connaissais pas la parfumerie de niche. Je voyais donc ça a priori très éloigné des métiers du terroir que j’aimais dans le vin. Mais j’ai rencontré par la suite beaucoup de parfumeurs et je me suis finalement rendu compte que c’était assez similaire. Il y a un même amour des matières.

Pourquoi avoir nommé la boutique Liquides ?

Au départ on voulait un nom un peu comme Alcools mais ce n’était pas possible. Alors on a opté pour Liquides... Parce que c’est vrai, nous vendons des liquides ! C’est aussi une manière de redonner ses lettres de noblesse au contenu.

Comment définissez-vous votre boutique ?

Nous sommes un « bar à parfums ». Déjà, il y a un bar dans la boutique. Et puis il y a une notion de dégustation dans ce titre. Il s’agit de prendre le temps. Nous voulions aussi un lieu d’échanges, de proximité entre les personnes. On peut faire de vraies rencontres autour de ce bar, on y échange des brèves de comptoir. Parfois on est un peu limité par ce qu’on connaît et le fait d’entendre un voisin parler d’une fragrance donne la curiosité de s’y pencher. Ce n’est pas toujours facile parce que les gens n’ont plus l’habitude d’échanger, de se livrer. Il faut oser parler, de toute façon on ne dit pas de bêtises en parfum.

Comment faites-vous la sélection des marques qui entrent chez vous ?

Liquides c’est avant tout un label de parfumeurs indépendants : Différentes Lattitudes. La boutique fait office de showroom pour les marques avec lesquelles on travaille. Les marques ne rentrent pas par hasard et on les accompagne dans leur stratégie de communication, de marketing et de développement. On entretient un lien de proximité avec les parfumeurs, nous les connaissons tous, certains sont des amis. Nous ne sommes pas juste un point de vente.

Pourquoi certaines marques disparaissent-elles de votre boutique ?

Parfois nous cessons de commercialiser certaines marques à partir du moment où elles sont capables de voler de leurs propres ailes. Parfois, aussi, ça peut être à cause d’un échec commercial.

Êtes-vous également propriétaire d’une ou plusieurs marques ?

David Frossard est propriétaire de Liquides Imaginaires (avec Philippe Di Méo) et de Frapin. Il se charge surtout la direction artistique de Frapin dont il a repris la licence après avoir rencontré l’héritière des cognacs Frapin. Comme elle ne buvait pas elle testait les cognacs sur sa peau et c’est ce qui a donné l’idée à David de développer des parfums pour raconter l’histoire de la marque, histoire qui remonte à 1270 !

Qui a créé le décors de la boutique ?

L’architecture a été pensée par Philippe Di Méo comme un vieux bar anglais. Nous ne voulions pas de vitrine et surtout pas de packagings. Ainsi c’est plus un lieu de vie qu’un lieu commercial.

Avez-vous un type de clientèle particulier ?

Oui nous avons 60% de parisiens, surtout des gens du quartier. Nous travaillons pour accueillir plus de clientèle étrangère. Lors de la fashion week nous avons quelques clients japonais, une clientèle japonaise assez originale, un peu provocante, parce que de manière générale les asiatiques ne se parfument pas beaucoup. Sinon nous avons pas mal de russes car Liquides Imaginaires marche bien en Russie. Au début j’ai été surprise car il y a beaucoup de passionnés, et même de jeunes passionnés. De plus en plus de gens viennent aussi car ils sont lassés par le mass market. Ces gens-là, quand ils arrivent, ils sont souvent complètement perdus, il faut les rassurer et les accrocher.

C’est vrai qu’il y a quand même un cap olfactif à franchir.

Quelles demandes les clients formulent-ils ?

Les gens qui entrent ici sont très curieux. Ce qu’ils cherchent souvent c’est l’originalité, l’identité olfactive. Souvent ils pensent que nous faisons des parfums sur mesure et il faut leur expliquer le pourquoi du comment. Ils sont étonnés aussi de ne pas pouvoir toucher les parfums, à cause de cette barrière du bar entre eux et les flacons. Les gens ne peuvent pas flâner comme au musée, ils sont obligés de s’adresser à moi, donc il faut vaincre une part de méfiance. Mais très vite ils apprennent à nous faire confiance et au final on fait naître une vraie fidélité.

Comment conseillez-vous vos clients ?

Je pose des questions. C’est très rare que je pose des questions sur ce qu’ils ont porté auparavant car ce n’est pas parce que vous avez porté trois ou quatre parfums de mass market que cela donne votre identité ou que cela définit un goût fixe. Je leur demande plutôt ce qu’ils n’aiment pas. Je me lance toujours le défi de faire sentir aux gens un parfum contenant un ingrédient qu’ils n’aiment a priori pas. Ce n’est pas parce qu’un jour dans votre vie vous n’avez pas aimé un parfum avec du pamplemousse que vous allez détester tous les parfums avec du pamplemousse ! Sinon je leur demande s’ils recherchent quelque chose de plutôt intime, de plutôt enveloppant… Puis tout passe par la dégustation. En faisant sentir des choses j’essaye d’interpréter les réactions des gens. Je fonctionne avec des portes ouvertes et des portes fermées : c’est vraiment un cheminement qui demande de prendre son temps.

Comment parlez-vous des parfums à et avec vos clients ?

Il y a des gens qui ont besoin de savoir ce qu’il y a dans les parfums. Dans ce cas je parle des matières premières. Mais j’essaye aussi de faire parler les gens :« qu’est-ce que vous ressentez ? » Je pousse les gens à mettre des mots sur leurs sensations. Après, certains univers nécessitent d’être narrés. C’est intéressant de voir qu’on peut emmener les gens autour d’une odeur et d’un conte.

Quelle différence y a-t-il selon vous entre vendre des parfums de peau et des parfums d’intérieur/bougies ?

Bien que le parfum d’intérieur soit de plus en plus prisé, il reste plus un accessoire. Le parfum d’intérieur est lié à une notion de bien être alors que le parfum de peau est une séduction.

Avez-vous défini une typologie de ce qui se vend le mieux ou le moins bien ?

La marque Byredo se vend bien car elle est assez connue et a un design assez plaisant. Cet hiver l’encens et les cuirs ont bien marché. De manière générale les gens cherchent ce qui va déranger un peu, ce qui dénote. Les parfums un peu “classiques” ne plaisent pas trop.

Y a-t-il un parfum de votre sélection qui ne vous semble pas apprécié à sa juste valeur par les clients ?

Oui, j’aime beaucoup Hamdani de Parfums de Marly. C’est un encens mais il a un côté salpêtre, évoquant un peu la cave humide. J’aime le porter sur un manteau en hiver parce que c’est presque plus une odeur qu’un parfum.

Un coup de coeur pour un parfum qui n’est pas chez Liquides ?

Evidemment ! Moi au départ je me suis beaucoup passionnée pour Lutens. J’ai eu un vrai coup de coeur pour La Myrrhe qui reste un de mes parfums préférés. J’aime aussi beaucoup Reliques d’Amour d’Oriza L. Legrand, qui sent l’église. Je ne le porte que le soir, chez moi.

Y a-t-il une mode parfumée qui vous agace ? Une qui vous plaît ?

Oui j’en ai un peu marre du Oud. Ça m’agace de voir des belles marques sortir des ouds qu’ils ne maîtrisent pas du tout. Et j’en ai aussi assez des demandes autour du musc de la part de gens qui ont pour seules références le Original Musk de Kiehl’s et le White Musk de The Body Shop.

Suivez-vous les blogs ou AuParfum ?

Malheureusement je ne les lis plus assez. Avant je faisais des orgies de tout ça mais je n’en ai plus le temps entre le travail et ma vie familiale.

Avez-vous un souvenir olfactif particulièrement marquant ?

Mes parents ont longtemps vécu en Afrique, et pour moi, l’odeur du Chouraï (encens africain), c’est l’odeur de la maison de ma mère. J’aime aussi les odeurs de mousse à raser, qui m’évoquent mon grand-père. Quand j’étais petite je rêvais d’être un homme pour pouvoir me raser ! Toujours dans les odeurs de salle de bain, j’adore l’odeur du vernis à ongle. Je n’ai jamais vu ma mère sans vernis à ongle rouge et aujourd’hui quand je mets du vernis, mon mari et mon fils râlent alors que moi j’adore cette odeur !

Qu’est-ce que le parfum pour vous ?

Quand on a un seul parfum, c’est une véritable identité. Quand on en a plusieurs, cela permet d’être en accord avec son humeur. Pour moi le parfum sert à sublimer le spleen quotidien. Dans tous les cas il y a toujours un côté charnel, un rapport à la peau.

Propos recueillis par Clara Muller

— 

Bar à parfums Liquides
9 rue de Normandie - 75003 Paris
Du lundi au samedi de 11h à 20h
Tel : 09 66 94 77 06

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Lady of Shalott

par Lady of Shalott, le 24 juillet 2015 à 13:28

Ah ! Byredo ! Je m’étonne qu’il n’y ait pas plus de parfums de cette marque commentés sur AP. Y a-t-il une raison particulière à cela ?

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Chanel de Lanvin

par Chanel de Lanvin, le 24 juillet 2015 à 10:02

Un très bel article sur un concept tout à fait original,un endroit qu’il doit être agréable à découvrir et y retourner pourquoi pas.
Habitant en Belgique,je me permet de faire la référence d’une adresse,tout en restant dans le sujet,d’un endroit presque unique chez nous.
Il se situe à Bruxelles,il s’agit de L’Antichambre 13 Place Georges Brugmann 1050 Ixelles
L’Antichambre propose de créer un parfum en temps réel,voilà toute la différence.
Rangés sur des étagères, de jolis flacons révèlent leur secret.
Après avoir sélectionné l’un ou plusieurs d’entre eux, ils créent le parfum qui désormais vous accompagnera.
Lorsque votre choix est fait, le mélange est préparé avec soin dans le laboratoire.
Et,soyez-en certain, ici, le secret de votre formule est bien gardé !
L’antichambre propose aussi ses bases seules ainsi que « les exclusifs », parfums composés eux aussi à Grasse au gré des envies de la créatrice.

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par Jeanne Doré, le 24 juillet 2015 à 10:23

Bonjour Luc, merci pour ces infos, nous ne deséspérons pas d’aller un jour prochain explorer les parfumeries de Belgique, et d’ailleurs !...

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par lorelei, le 24 juillet 2015 à 09:47

Bonjour Clara,
Je vous remercie pour cet entretien passionnant ainsi que les magnifiques photos.
Cet article me donne furieusement envie de faire une escapade à Paris.
Je vous souhaite une très agréable journée à vous et les auparfumistes !
Je me régale avec ce magazine qui nous enchante avec des billets tous plus précieux les uns que les autres. Un immense merci à leurs brillants auteurs.

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par Jeanne Doré, le 24 juillet 2015 à 10:21

Merci Lorelei, c’est gentil !

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