Auparfum

La Fabrique des parfums - Naissance d’une industrie de luxe

Note des visiteurs : (2 votes)

par Olivier R.P. David , le 5 novembre 2015

L’année 1889 marque la naissance de la parfumerie moderne avec la sortie de Jicky par Aimé Guerlain. Dans son livre, La Fabrique des Parfums, Eugénie Briot [1] nous invite à voir en cette date non un début, mais une charnière. L’aboutissement d’une révolution tant industrielle que sociale qui traverse tout le XIXe siècle en portant la parfumerie du geste intime et hygiénique au rituel social signe de luxe et d’élégance. Au fil de onze chapitres, nous suivons cette grande mutation.

Puisant dans les œuvres littéraires, l’auteur nous fait découvrir la culture olfactive du XIXème naissant. Une relation ambivalente aux odeurs, entre aromates salvateurs et voluptueux effluves, résines sacrées et baumes enivrants. Les fantasmes qui entourent les senteurs lointaines et rares accompagnent la frénésie d’exotisme qui emporte la France coloniale, où Baudelaire et Huysmans font sonner les noms d’opoponax, de benjoin, de cosmydor dans de languides alcôves. Nous voyons aussi se dessiner l’image d’une féminité en noir et blanc, soit fleur virginale, soit putain musquée, où l’odeur d’une femme est donc affaire de morale.

Après cet état des lieux, l’ouvrage nous emmène du côté des parfumeurs. Nous visitons les Expositions Universelles pour voir la vivacité et bientôt la suprématie de la parfumerie française qui s’organise en une véritable industrie du luxe. Les maisons de parfum allient commerce et recherche scientifique, la chimie fournissant de nouvelles matières odorantes artificielles qui ouvrent de vastes territoires olfactifs au parfumeur. Car si la palette du parfumeur s’élargit à grande vitesse, les produits finis ne varient que très peu. La vocation hygiénique perdure et ce sont les Eaux de Cologne, vinaigres de toilette, huiles pour la chevelure ou poudres de riz qui font les beaux jours des grandes maisons. Seul l’extrait de mouchoir préfigure la parfumerie alcoolique concentrée que nous connaissons.

Eugénie Briot nous rappelle aussi qu’en ce temps le savon parfumé est inclus de plein droit dans la parfumerie et constitue la plus belle part des ventes ! C’est l’occasion de découvrir que c’est le nitrobenzène, ou essence de mirbane, qui est la première substance artificielle à entrer en parfumerie, fin des années 1850, dans un savon parfumé à l’amande amère. Coumarine, ionones, vanilline, muscs nitrés… et tant d’autres suivront l’essor des industries chimiques portées par le progrès scientifique. Une escale à Grasse nous montre cela avec la conversion des tanneries historiques de la ville en industries des matières odorantes, par ce trait d’union des parfumeurs-gantiers, en même temps que se constitue de véritables dynasties familiales.

Le chapitre suivant ouvre le Manuel des Dames. Tableau inénarrable de jeunes filles désireuses de briller dans le monde par une odeur agréable mais devant observer les impératifs de discrétion par une odeur presque imperceptible. Tout est nuance ! Huiles, pommades, poudres, sachets parfumés… on « odorise » plus qu’on parfume, tout sauf la peau, ce serait scandaleux. Lavande, violette, rose et autres fleurs délicates ont l’agrément des élégantes, qui se pincerons le nez au passage de la Reine Victoria qui laisse un sillage teinté d’ « un disqualifiant soupçon de musc. »

Nous finissons dans les beaux quartiers avec les fastes déployés par les parfumeurs pour promouvoir leurs produits et suivre les tendances du luxe parisien, prescripteur du bon gout mondial. Les grandes enseignes vitrées des Houbigant, Piver, Guerlain, Roger & Gallet… scintillent dans le Paris 1900 et la guerre commerciale se livre sous les coupoles des Grands magasins pour se partager les faveurs d’une classe aisée ambitieuse et d’une bourgeoisie hédoniste. La Première Guerre mondiale va bousculer tout cela, Proust meurt et Breton secoue Paris, la Fougère Royale va voir arriver Shalimar et N°5, mais cela c’est une autre histoire (pour le prochain volume ?)

Voilà ! Ce livre merveilleux combine science et littérature, approche sociale et données commerciales pour nous livrer avec un naturel confondant une image dynamique d’une parfumerie en train de se fabriquer.

— 
La Fabrique des parfums - Naissance d’une industrie du luxe - Disponible sur la Boutique Auparfum, Eugénie Briot, Editions Vendémiaire, 410 pages, 24 euros

[1Eugénie Briot, ainsi qu’Olivier R.P. David, l’auteur de cet article, sont tous deux contributeurs de la revue Nez

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euskalpyth

par euskalpyth, le 29 janvier 2016 à 12:25

Je ne sais pas trop où mettre cette info, donc j’y vais :

Eugénie Briot donnera une conférence au ministère des finances, à Bercy, le mardi 14 février à midi, sur le thème de son dernier livre (sorti en novembre) : "la fabrique des parfums, naissance d’une industrie du luxe (1850-1914)"

Infos et inscriptions ici : http://www.economie.gouv.fr/igpde-seminaires-conferences/midi-histoire-2016
C’est gratuit mais il faut s’inscrire pour y assister - Venez nombreux !

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par euskalpyth, le 29 janvier 2016 à 14:00

Petite correction : la conférence aura lieu le mardi 16 février (et non le 14, comme je l’ai indiqué par erreur) -

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Passacaille

par Passacaille, le 11 novembre 2015 à 13:49

Pour celles et ceux qui voudraient se plonger dans l’ambiance 1900 dans le domaine de la parfumerie, on trouve un livre fort intéressant d’un Monsieur Henri Coupin, intitulé "Promenade scientifique au pays des frivolités : étude pittoresque des frivolités fournies par la nature, à la mode, à la parure et au luxe." Le chapitre XII traite des "Parfums Discrets, Parfums Légers, Odeurs Sublimes" le pdf est ici :https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q&esrc=s&source=web&cd=15&ved=0CDUQFjAEOApqFQoTCNbCnaj2h8kCFYHUGgod1asFiA&url=http%3A%2F%2Fpasserellesdutemps.free.fr%2Fedition_numerique%2FIGCD%2F6_SCIENCES_APPLIQUEES_TECHNIQUES%2F68_Fabrication_produits_a_usages_specifiques%2F688._Voyage_pays_des_frivolites.pdf&usg=AFQjCNG8R7qReO1Ld754e3DPAq8dDeFC6A&sig2=zN35f9eUKfSiX92uIMloCA&bvm=bv.106923889%2Cd.d2s&cad=rja

Bonne lecture !

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par Memories, le 6 novembre 2015 à 12:05

Oh Yes....Merci pour cette info qui donne envie de se plonger à la fois dans la parfumerie, mais aussi dans la Belle Epoque.J’espère seulement (rejoignant le voeu d’Olivier) que ce livre sera suivi d’un autre tout aussi passionnant sur les parfums des Années Folles car, pour moi, les 2 périodes sont inséparables dans l’évolution de la parfumerie.
Ce sont d’ailleurs celles que je préfère, à la fois pour le contexte, le développement et une innovation "rustique" qui confine au rêve (loin d’une industrialisation commerciale et dévastatrice).

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par pp1900, le 6 novembre 2015 à 09:25

Un article alléchant sur un livre à se procurer ou à se faire offrir pour Noël.

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Raphaëlle

par Raphaëlle , le 5 novembre 2015 à 21:03

Chouette critique qui donne très envie de plonger dans ce livre à la recherche des effluves laissés par les robes à crinoline lors d’une exposition universelle...

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