Antonio de Figueiredo : “J’aime me définir comme un chasseur d’odeurs”
par Clara Muller, le 16 juillet 2015
La parfumerie dite de niche (ou, si l’on préfère, parfumerie rare, artistique, alternative...) se caractérise notamment par la rareté de sa diffusion. Les quelques lieux spécialisés qui, à Paris et ailleurs, se vouent à sa promotion se font généralement très discrets.
Tout au long de l’été Auparfum vous fera ainsi découvrir le charme discret de marie antoinette, l’ambiance bar de Liquides, la majesté de Jovoy, l’énergie chaleureuse de Sens Unique, le patriotisme de Atelier Maître Parfumeur ou encore le traditionalisme de Arôma Parfums & Soins.
Une fois entré dans l’une de ces boutiques, l’accueil, le décor, tout y évoque un univers singulier où les odeurs ne sont pas répandues dans l’atmosphère en grandes flaques, mais aimablement diffusées par les quelques « visiteurs » ou par les maîtres des lieux.
Chacun de ces lieux a sa personnalité propre, ses parti pris, ses marques (parfois exclusives) et vous accueille comme l’on reçoit un proche. En échange d’un grand sourire, on vous offrira même peut-être un café. L’objectif n’est pas seulement de vous vendre un flacon, mais de vous ouvrir à tout un univers olfactif. Dans ces lieux uniques, le conseil a un nom ou plutôt un prénom : Antonio, Renata, Léa, François... et les autres.
Nous les avons rencontrés, en attendant que vous fassiez leur connaissance par vous-même. Et promis, dès que possible, nous décollerons de la capitale et vous parlerons… du reste du monde !
Nous avons retrouvé un matin de juillet Antonio de Figueiredo chez marie antoinette, place du marché Sainte Catherine, dans le 4e arrondissement. D’origine portugaise, il est un des premiers à avoir fondé à Paris une parfumerie indépendante entièrement consacrée à la parfumerie de niche. En 2007 il s’installe dans une ancienne cordonnerie du Marais. Derrière une façade en bois d’un rouge éclatant se cache un petit écrin aux murs couverts de flacons. Contre le mur du fond, une petite banquette invite à prendre son temps pour sentir, au son de Mozart, Verdi ou Schubert.
Auparfum : Comment êtes-vous arrivé dans le monde du parfum ?
Antonio : Ce fut un concours de circonstances. J’ai d’abord fait l’école hôtelière avec une spécialité œnologie. Puis j’ai travaillé pendant trois ans dans une boutique de senteurs maison. Ainsi, quand j’ai ouvert ma propre boutique le 1er décembre 2007 c’était principalement une boutique de senteurs maison. Je me suis diversifié quand on m’a présenté les parfums Frapin. C’est une maison connue depuis 1270, non pas pour le parfum, mais pour le cognac. Or ce cognac Frapin je l’avais découvert lors d’un cours de dégustation à l’école hôtelière et c’est ça qui a été le facteur déclencheur. Je n’ai jamais fait de formation, j’aurais peur d’y perdre ma spontanéité, mon côté intuitif.
Comment définissez-vous votre boutique ?
J’aime bien me définir comme un « chasseur d’odeurs ». Chez marie antoinette on trouve des marques qui ont traversé les décennies et les siècles, comme Oriza L. Legrand, Houbigant, Piguet ou Isabey. Mais j’ai aussi des créateurs d’aujourd’hui. J’aime les maisons qui ont un lien avec l’histoire, comme Histoires de Parfums, ou avec la littérature, comme Jardins d’Ecrivains. Depuis l’ouverture je travaille aussi avec la première savonnerie du Portugal, Claus Porto, qui existe depuis 1887. Ils font aussi des bougies et des eaux de Cologne et mon grand-père portait justement une de leurs eaux.
D’où vous vient cette passion pour la littérature ?
Je suis arrivé en France lorsque j’avais sept ans, contre mon gré. Je ne voulais pas quitter le Portugal. Quand j’ai eu 20 ans, je me suis donc intéressé à l’histoire du Portugal. De fil en aiguille j’en suis venu à la littérature, d’abord portugaise, puis française et anglaise.
Et pour la musique classique (qui “encense” toujours la boutique) ?
J’adore l’opéra. La musique classique, je crois, correspond bien à ce qu’on trouve dans ma boutique.
Pourquoi ce nom de marie antoinette ?
Ce nom réunit le prénom de ma grand-mère maternelle, Maria, et le mien, Antonio. Il y a donc trois personnes dans ce nom, ma grand-mère, moi, et finalement la reine. C’est pour cela que sur la carte de visite il n’y a pas de majuscule à marie antoinette.
De mes quatre ans à mes sept ans j’ai été élevé par mes grands-parents maternels. Ma grand-mère faisait des eaux de Cologne uniquement à la rose pour la famille même si elle n’était pas parfumeur. Tous les dimanches, avant d’aller à l’église, elle me mettait une chemise blanche, un nœud papillon, et elle me badigeonnait de cette eau à la rose.
Moi qui avait 5 ou 6 ans, j’étais très mal à l’aise de sentir la rose comme ma petite soeur. On allait à l’église à pied et je marchais tout le trajet la tête baissée. J’étais soulagé en arrivant dans l’église car les odeurs d’encens masquaient mon odeur de rose, je me sentais enfin en sécurité. Je garde depuis un goût prononcé pour les odeurs d’encens.
Comment faites-vous la sélection des marques qui entrent chez vous ?
Je rencontre toujours les créateurs des marques que je distribue. Je choisis les parfums pour leur identité olfactive forte mais aussi pour la démarche du créateur. J’aime particulièrement Parfum d’Empire qui fait partie de mes chouchous. Mais aussi Isabey, notamment parce que j’adore les années folles. J’adore Hercule Poirot, je connais toutes les répliques par cœur et j’essaye de prendre un peu son look !
Pourquoi certaines marques disparaissent-elles de votre boutique ?
C’est souvent à contre cœur que j’arrête de distribuer une marque. C’est en général parce ce sont des marques qui sont difficiles à vendre. Je ne peux pas me permettre, dans un espace aussi petit, d’avoir des marques qui ne tournent pas assez.
Êtes-vous également propriétaire d’une ou plusieurs marques ?
Pas encore mais j’aimerais l’être. J’ai des idées pour créer ma propre ligne. Comme parfumeur pour cette ligne j’imagine bien Vero Kern ou Marc-Antoine Corticchiato.
Avez-vous un type de clientèle particulier ?
Dans la boutique je reçois beaucoup de touristes, particulièrement des Italiens, des Brésiliens, des Américains, des Canadiens et des Australiens (Antonio parle le portugais, l’italien et l’anglais). En général les gens viennent car ils ont entendu parler de la boutique par le bouche-à-oreille. Très peu de clients entrent ici par hasard, ce sont en général des connaisseurs qui reviennent ou des gens viennent de la part de quelqu’un. Je vois régulièrement des étrangers qui passent une fois par an ou tous les deux ans et qui font leurs réserves jusqu’à leur prochaine venue.
Comment conseillez-vous vos clients ?
En général je préfère ne rien savoir et me fier à mon intuition. Je leur conseille un premier parfum et j’essaye d’expliquer pourquoi je les vois avec ce parfum. Puis j’en propose un second et un troisième. En général il y en a un qui est éliminé d’office. Pour les deux qui restent je conseille de les tester sur les poignets et j’ai coutume de dire aux gens, « de toute façon il y en a un des deux qui vous adoptera ». En dernier recours il peut m’arriver de poser des questions sur ce que les gens ont l’habitude de porter.
Comment parlez-vous des parfums à et avec vos clients ?
J’ai besoin de pouvoir raconter les parfums. Ce sont des histoires que j’invente en général, parfois à partir de la démarche du créateur, mais surtout je porte les parfums deux ou trois jours de suite et de là vont naître des histoires qui me sont propres. Je dis aussi souvent aux clients : « Votre souvenir olfactif est toujours juste ».
Quelle différence y a-t-il selon vous entre vendre des parfums de peau et des parfums d’intérieur/bougies ?
Désormais j’ai peu de parfums d’intérieur chez marie antoinette. Il ne me reste que quelques bougies (Claus Porto, Olfactive Studio,...). Pour orienter les clients sur les senteurs maison je pose plus de questions, notamment sur le style de leur décoration.
Y a-t-il des personnes qui viennent chez vous comme on viendrait au musée ? C’est-à-dire non pas pour acheter mais pour “contempler”.
Oui il y a des gens qui viennent ici comme ils iraient au musée. Il y a les blogueurs notamment qui viennent juste pour sentir différentes choses.
Avez-vous défini une typologie de ce qui se vend le mieux ?
Les gens, du moins ceux qui entrent ici par hasard, préfèrent malheureusement ce qui se rapproche des senteurs de grande distribution.
Y a-t-il un parfum de votre sélection qui ne vous semble pas apprécié à sa juste valeur par les clients ?
Oui, les Vero Profumo ne sont pas suffisamment appréciés à mon avis. Peut-être à cause de leur côté assez médicinal. Et je n’ai vraiment pas envie de les voir disparaître de chez moi !
Y a-t-il une mode parfumée qui vous agace ? Une qui vous plaît ?
La mode qui m’agace en ce moment c’est celle du Oud. La matière qui me plaît toujours autant en revanche est l’encens.
Suivez-vous les blogs sur le parfum ? Et AuParfum ?
Oui je lis parfois les blogs et AuParfum aussi bien sûr, puisque nous avons un partenariat dans le cadre de vos ateliers qui donnent droit à une réduction dans la boutique. Mais j’avoue avoir assez peu de temps car je travaille six jours sur sept.
Avez-vous un souvenir olfactif particulièrement marquant ?
Je me souviens très bien du parfum d’une personne qui portait Jules de Dior. Je n’ai pas vu cette personne pendant trente ans et un jour elle m’a téléphoné. Au seul son de sa voix le parfum m’est revenu tout d’un coup dans le nez.
Qu’est-ce que le parfum pour vous ?
Pour moi le parfum sert à séduire, mais il peut aussi servir à repousser les gens. Par exemple si je vais à un événement où je sais que je risque de croiser des personnes que je n’ai pas envie de voir, pour qu’elles ne m’approchent pas de trop près, je porte un parfum potentiellement gênant. Musc Tonkin a cette ambivalence et peut produire cet effet-là, de même que Onda de Vero Profumo.
Le mot de la fin ?
L’interview… Un exercice que je déteste !
Nous le remercions d’autant plus pour cet entretien !
Propos recueillis par Clara Muller.
—
marie antoinette
Place du marché Sainte Catherine
5 rue d’Ormesson
75004 Paris
De 12h00 à 20h00 du mardi au dimanche
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par anthobe, le 19 juillet 2015 à 21:37
Chez Antonio c’est un peu comme le Palais de la Découverte, on touche à tout, on sent tout, on essaye tout .... Si en plus de porter les parfums de la boutique, on pouvait les boire, je viendrai y prendre l’apéro aussi ! Une groupie, anthony
par HUMBERTO, le 17 juillet 2015 à 13:21
Merci Clara et " Boa Sorte para o António " ( Bonne chance Antonio )
par Thelittlebox, le 17 juillet 2015 à 09:59
Bonjour,
Chouette saga de l’été en prévision !
Deux petites remaques :
je n’ose pas entrer dans cette boutique et quelques autres très pointues. En effet, c’est surement stupide et vous allez me trouver bête, mais j’ai peur de passer pour le Nième client qui entre pour tester, pour gratter des échantillons et finalement ne jamais rien acheter.
immense merci à Antonnio de parler de Vero Kern qui le mérite !
Bonne journée,
Thelittlebox
par invité, le 17 juillet 2015 à 07:51
Merci Clara pour cette interview passionnante d’Antonio de Figueiredo, ainsi que pour les superbes photos !
par Belle du seigneur, le 16 juillet 2015 à 22:17
Quel très bel article...
La rencontre de cette boutique et de ce qui en fait l’âme, son propriétaire, reste dans mon coeur. J’y retourne à la rentrée, me laisser bercer par les belles histoires qui accompagnent les parfums ; et m’offrir un petit cadeau de début d’année scolaire.
Je le conseille vivement, il fait la beauté de Paris, son humanité, mais cela l’article le dit mieux que moi !
(Tu viendras hein BillieH ? ;)
par lorelei, le 16 juillet 2015 à 21:12
Bonsoir !
Félicitations Clara pour cet entretien passionnant et rare. J’ai adoré chacune de vos lignes. Excellente soirée à tous les parfumistas.
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Boutique découverte aujourd’hui avec mes filles aujourd’hui. Un vrai moment de bonheur, de temps suspendu à écouter le maître des lieux nous conter ces histoires et nous faire découvrir de belles senteurs ! Bravo et continuer à nous faire voyager et rêver.
Je reviendrai lors de mon prochain passage à Paris, c est certain. Je me suis laissée tenter par KISMET de Lubin.
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